Avis #10 : Apprendre à lire - Sébastien Ministru
Dans Apprendre à lire, publié chez Grasset en janvier 2018, Sébastien Ministru dépeint avec pudeur et sans fard une relation père-fils
dont, bien qu’elle comporte son lot d’incompréhensions et de rendez-vous
manqués, jaillit un amour d’une pureté et d’une sincérité indéniables.
Antoine, directeur de presse en fin de carrière, est surpris
par son père le jour où celui-ci lui fait part de manière détournée de sa volonté
d’apprendre à lire et à écrire. Le fils, pris au dépourvu, se voit accepter
malgré lui de devenir le professeur de son père, dont il s’est éloigné
progressivement après qu’ils ont tous deux assistés à la nuit d’agonie de la
mère, de nombreuses années plus tôt. Après quelques séances qui génèrent plus
de frustrations que de progrès, Antoine décide de confier la difficile tâche d’enseigner
la lecture au vieillard à Ron, un jeune prostitué qui poursuit des études d’instituteur.
Le lecteur suit alors l’évolution des relations du père, du fils, et de cet
étranger qui va progressivement endosser le rôle de médiateur entre les deux
hommes.
Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’Antoine et son père
avaient besoin qu’on les aide à se rapprocher, eux qui sont si différents qu’ils
semblent de prime abord ne pouvoir ni se comprendre, ni s’apprivoiser. Le
premier a en effet poursuivi des études supérieures au terme desquelles il a
entamé une carrière dans le journalisme tandis que le second n’a jamais pu être
inscrit dans l’école de son petit village sarde, contraint par son père d’assurer
le rôle de berger dès son plus jeune âge. Le premier est en couple avec un
autre homme, ce que le second a finalement accepté sans pour autant pouvoir le
comprendre totalement. Le premier a souvent eu l’impression de ne présenter
aucun intérêt aux yeux du second, incapable d’extérioriser ses sentiments et
ses pensées.
Apprendre à lire
est un roman à la lecture duquel j’ai pris beaucoup de plaisir. Sébastien
Ministru, à travers la voix de son narrateur, a su trouver le ton juste pour
nous livrer les douleurs et les envies inavouées de ses personnages sans nous
mettre dans la position de voyeur, en faisant affleurer les sentiments sans
verser dans le sentimentalisme. L’auteur aborde au fil de son texte des thématiques
variées : l’absence, le deuil, le temps qui passe, la rédemption, la
difficulté de communiquer qui s’installe et prend de plus en plus de place.
La grande force du texte réside selon moi dans les dialogues
qui rendent compte de la psychologie des personnages avec une grande efficacité
et dont surgissent les non-dits d’une relation père-fils pas forcément idéale,
mais tendre.
Enfin, la manière dont les leçons de lecture et d’écriture prennent
fin, brutale, m’a ramené à mon expérience personnelle et m’est parvenue comme
un coup de poing dans le ventre. Le genre de douleur littéraire qu’on souhaite
ressentir encore et encore.
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