Avis #17 : La vie lente - Abdellah Taïa
J’ai rencontré l’écriture d’Abdellah Taïa en 2012, lorsque j’ai
acheté l’édition poche d’Une mélancolie
arabe lors d’un petit salon littéraire consacré à la littérature LGBT. Dès
les premières pages, j’ai été soufflé par les mots de l’auteur comme par une
déflagration qui emporte tout sur son passage. Sept ans plus tard, l’effet est
toujours le même quand je découvre son dixième roman : La vie lente, paru le 7 mars aux
éditions du Seuil.
Dans ce roman, on découvre les relations tumultueuses qu’entretiennent
Mounir, Marocain homosexuel de quarante ans vivant dans le Marais à Paris, et
Simone Marty, sa voisine du dessus, deux fois plus âgée que lui. Si, au moment
où s’ouvre le récit, on comprend que l’entente entre les deux est loin d’être
cordiale, on découvre au fil des chapitres qu’il n’en a pas toujours été ainsi
et qu’ils avaient même développé une certaine tendresse l’un à l’égard de l’autre.
Le problème, c’est que Mounir a très vite été dérangé par les bruits de sa
voisine, jusqu’à en perdre le sommeil et la raison, ce qui l’amène à adopter
une attitude hostile envers les autres personnes de l’immeuble et à s’attirer
des ennuis. La situation dégénère au point que Mounir est interpellé par la
police et soupçonné d’adhérer au combat que mènent les djihadistes. C’est avec cet
interrogatoire qu’on découvre Mounir et son histoire.
Dès les premiers mots, j’ai retrouvé avec plaisir ce qui me
fait tant aimer l’écriture d’Abdellah Taïa. Des phrases courtes qui s’enchaînent
et qui permettent au lecteur d’avancer dans le texte selon un rythme ambivalent :
l’écriture syncopée d’Abdellah Taïa encourage le lecteur à accélérer en même
temps qu’elle lui donne de nombreuses occasions de s’arrêter et de faire durer
les phrases autant qu’il le souhaite. Les points qui ponctuent chaque phrase
tiennent tantôt le rôle d’un staccato
nous donnant envie de scander le texte plus ou moins rapidement, tantôt celui d’un
point d’orgue, comme une respiration nécessaire pour apprécier la beauté et la
dureté des mots choisis.
Car les mots sont beaux, même quand ils dépeignent des
événements difficiles et, à l’inverse, les mots sont durs, même s’il est
question d’amour. Et c’est ce que j’aime particulièrement chez Abdellah Taïa :
cette dualité dans l’écriture qui libère les émotions, ce dialogue entre la
rude réalité et la tendresse dont peuvent faire preuve les personnages.
Dans La vie lente,
comme souvent dans ses écrits, Abdellah Taïa parle avec justesse et sans détour
de ce que veut dire être un émigré marocain aujourd’hui. Dans la France post-attentats,
être arabe est aussi synonyme d’être regardé avec méfiance. « Antoine m’a tué. Il croit que je suis devenu
islamiste. Un terroriste en devenir. Un Marocain. Tu es marocain, n’est-ce pas…
Cela voulait tout dire dans sa bouche. Marocain. Prononcé de la même manière
que par les journalistes des chaînes d’information quand il y a des attentats. »
C’est également être méfiant à son tour, être sans cesse sur ses gardes et cela
conduit Mounir vers une paranoïa qui ne peut que lui porter préjudice.
Écrire sur ce roman est difficile pour moi tant j’ai l’impression
de dénaturer le texte en cherchant à comprendre pourquoi je l’ai apprécié. Toujours
est-il qu’Abdellah Taïa est un auteur dont les textes ne me déçoivent jamais et
dont j’attends chaque nouvelle production avec impatience. Si vous ne le
connaissez pas encore, je ne peux que vous encourager à le découvrir.
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