Ogresse - Aylin Manço

« Le cœur est notre muscle le plus puissant, et le mien bat fort. Trop fort, parfois. Quand ça arrive, sa pulsation m'envahit le crâne et je n'arrive plus à penser à autre chose. Je n'entends même plus ce qu'on me dit. C'est comme se faire poursuivre par quelqu'un qui joue du tambour, jour et nuit, partout, toujours. »

Préparant un club de lecture itinérant pour ados avec des collègues d'autres bibliothèques, j'ai lu pendant les dernières semaines de 2021 et les premiers jours de 2022 l'excellent Ogresse d'Aylin Manço. Un roman d'horreur paru chez Sarbacane qui raconte la fin de l'enfance et les affres de l'adolescence.

Hippolyte préfère qu'on l'appelle H. et tente de maintenir le cap tant bien que mal. Depuis que Benji est arrivé de France avec sa famille, ils forment avec Kouz un trio solide mais dans lequel elle peine parfois à se faire la place qu'elle souhaiterait, son statut de fille étant souvent oublié au profit de celui de pote. Ses parents se sont séparés récemment, sans rien lui dire, et H. doit désormais cohabiter avec une mère de plus en plus mystérieuse, qui la nourrit de pièces de viande qui commencent à lui retourner l'estomac. Quand leur voisine madame Munoz disparaît, H. pressent que c'en est définitivement fini des heures insouciantes de l'enfance. Elle en a la confirmation le soir où sa mère se jette sur elle et la mord...

« Et là le noir crache quelque chose de furieux qui me tombe dessus. Le salon se renverse ; le sol me heurte dans le dos. J'ouvre la bouche pour hurler, mais le choc m'a coupé le souffle.

(...)

Est-ce qu'il faut crier ? Si je crie, Papa va m'entendre et il viendra me sauver. Sauf que... Peut-être qu'il n'entrera quand même pas dans la maison. Peut-être que ça ne sera pas suffisant. »

Je n'en dirai pas plus sur l'histoire même du roman par peur de divulgâcher des éléments importants de l'intrigue. Pourtant, j'étais déjà au courant de ce dont parle le livre avant de l'ouvrir (et des indices plus qu'évidents nous sont donnés avant même le premier chapitre) et ça n'a pas empêché l'angoisse de s'installer progressivement et les frissons de me parcourir l'échine.

Savoir de quoi il en retourne ne m'a pas empêché de me demander comment les choses allaient tourner, ni de m'attacher sincèrement à H., Benji, Kouz et Lola. C'est à mes yeux une des forces du roman d'Aylin Manço : ses personnages particulièrement bien caractérisés, profondément humains et vivants, familiers. On a instantanément l'impression de les connaître, on les a forcément déjà croisés sur les bancs de l'école, dans un parc ou les transports en commun. Et parce qu'ils semblent si réels, on a tout de suite envie de les suivre, de les aimer. À travers eux, l'autrice parle avec une grande justesse des difficultés que l'on peut rencontrer à l'adolescence, de la tâche ingrate qui nous incombe de grandir sans trop de dégâts alors qu'on n'est plus en mesure de reconnaître le monde tel qu'on se l'est toujours représenté.

Que ces histoires d'âge transitoire s'inscrivent dans un récit d'horreur, ce n'est pas nouveau. Mais le fait est que ça s'y prête merveilleusement bien et qu'Aylin Manço a su utiliser les codes du genre à la perfection. La tension nerveuse qui s'ancre en nous crescendo, nous menant par moments au bord de la nausée, est joliment maîtrisée et ne retombe pas tout au long des 274 pages qui composent le livre.

Un texte aussi qualitatif que sa bande-son et que je ne peux que vous inciter à dévorer !

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