I love porn - Didier Lestrade

En recevant I love porn de Didier Lestrade dans le cadre de la dernière masse critique Babelio, je m'amusais du fait que le communiqué de presse mentionne l'anecdote suivante comme un point fort du livre : « l'auteur a inspiré le personnage de l'un des protagonistes principaux du film 120 BPM (plus de 850 000 spectateurs en France) ». J'ai ri parce que je me suis dit que, si une maison d'édition en arrive à utiliser ce genre de faits pour promouvoir un livre, c'est sans doute qu'elle ne croit pas vraiment en son contenu. Après lecture, je comprends pourquoi.

Je m'attendais à lire une lettre d'amour au porno, je me suis retrouvé devant une déclaration narcissique de Didier Lestrade au spectateur formidable qu'il est. Si l'auteur cite de temps en temps les travaux des autres, il renvoie régulièrement lae lecteur·rice à ses propres articles ou livres, parfois pour éviter de se répéter, souvent pour se positionner comme celui qui a tout compris avant tout le monde. Didier Lestrade n'écrit pas, il se masturbe et, bien que ce soit en phase avec le sujet de son livre, ça n'en demeure pas moins agaçant.

L'auteur assène ses opinions en voulant leur donner le poids des faits ; il mélange tout à plusieurs reprises (le passage dans lequel il défend l'hypothèse qu'il n'y a pas de masculinité toxique - qu'il appelle toxicité masculine, allez savoir pourquoi - dans le porno gay parce que les jeunes confondent ce phénomène avec les complexes qu'ils développent en voyant des acteurs sexys et musclés a achevé de me détacher des pensées de Lestrade), il compare des choses incomparables (il semblerait presque contester les violences que peuvent subir les femmes dans l'industrie pornographique hétéro sous prétexte qu'elles sont mieux créditées que les hommes), il se perd dans des justifications que personne n'attend (notamment sur son amour pour les productions interraciales et pour les acteurs noirs en particulier, un passage particulièrement ubuesque)... Tout ça dans un texte dont on peine à trouver le sens.

Seul le chapitre sur l'influence et les représentations du VIH dans le porno m'a semblé pertinent et mériterait d'être approfondi. Le reste, c'est du vent et que Lestrade écrive dans sa préface que son livre est le « "OK boomer" du porno gay » n'aide pas à faire passer la pilule.

Le problème de ce livre pour moi, vient aussi d'un travail d'édition non abouti. L'auteur précise dans sa préface qu'il a écrit I love porn « sans soutien éditorial, sans avance, sans contrat » et on se demande quel travail a été fait une fois que les éditions du Détour se sont insérées dans le projet. Rendons à César ce qui lui appartient : le travail sur l'objet livre est bien réalisé. La couverture est impactante et les plats de couverture son tout bonnement magnifiques, avec cette envolée de pénis stylisés. Un régal pour les yeux qui donne envie de passer la page de garde pour découvrir le contenu du livre. Et c'est là que ça se gâte...

Il y a énormément de coquilles dans le texte (les années 2000 qui deviennent le vingtième siècle dans tout un paragraphe, « tant qu'aux » au lieu de « quant aux », « telle qu'elle » au lieu de « telle quelle »... pour ne citer que quelques exemples). Je ne suis pas du genre à m'insurger de quelques erreurs passées inaperçues çà et là dans un livre (je serais d'ailleurs bien mal placé pour ça), mais quand il y en a trop, ça commence à m'énerver. Pour l'anecdote, à la réception, j'ai directement fouillé l'index à la recherche de certains performers trans afin de voir si le regard de l'auteur serait uniquement cisnormatif. J'ai bien failli passer à côté de Trip Richards, repris dans l'index en tant que Rip Richards. Et je n'ai tout simplement pas trouvé Ari Koyote pour la simple et bonne raison que son nom est orthographié Coyotte, dans le texte comme dans l'index.

Autre point qui aurait mérité un travail plus attentif de la part de l'équipe éditoriale : la structure du texte. Didier Lestrade se répète plusieurs fois, sans que la répétition ne soit particulièrement pertinente. Il se perd dans des digressions parfois interminables et passe au sein d'un même sous-chapitre du coq à l'âne au point de perdre lae lecteur·rice. Il aurait fallu que quelqu'un resserre certains passages, en enlève d'autres, demande une restructuration des idées dans celui-ci, un approfondissement du sujet dans celui-là... L'auteur a beau rappeler toutes les trente pages que le but de son livre n'est pas de faire un document académique, il vaudrait mieux malgré tout qu'il ressemble à un essai bien construit.

Bref, grosse déception pour ce livre dans lequel je me réjouissais de me plonger, gardez vos 21,90 euros pour découvrir quelque chose qui en vaudra vraiment la peine.


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