D'or et d'oreillers - Flore Vesco

Celleux qui me connaissent déjà le savent : je peux être très énervé face à certaines lectures (mon article sur Mon père, ma mère, mes tremblements de terre de Julien Dufresne-Lamy en témoigne). Et récemment, après de longs mois passés (presque) sans lire, j’ai renoué avec la lecture pour préparer une séance de notre club pour ados itinérant placée sous la thématique du prix Farniente. Parmi les livres que j’ai lus pour préparer cette séance, je me suis lancé dans D’or et d’oreillers de Flore Vesco, paru chez L’école des loisirs. Poussé par les retours dithyrambiques des collègues qui l’ont lu, encouragé par l’avalanche d’avis positifs sur les réseaux sociaux concernant ce roman, je me suis lancé dans la lecture de ce roman sans obligation aucune et avec confiance… et j’en suis ressorti particulièrement en colère ! 

Pourtant, ça partait bien. D’une part parce que le petit côté Chronique des Bridgerton version jeunesse était plutôt charmant, la promesse d’une réécriture des contes classiques avec une focalisation sur la découverte des plaisirs charnels me réjouissait, le tour gothique que prend le récit au fil des pages m’enthousiasmait… D’autre part par la qualité d’écriture de Flore Vesco. Parce que s’il y a bien une chose qu’on ne peut enlever à ce texte, c’est le style truculent de l’autrice. Flore Vesco aime visiblement la langue française, et elle la manie à merveille. Le début de ma lecture était donc plus que prometteur, j’étais totalement acquis à la cause de ce roman… et puis le lord Handerson est entré en scène. Avant d’expliquer en quoi ce personnage (et surtout son traitement narratif) m’a mis en rogne, petit résumé de l’histoire : alors que le château de Blenkinsop semblait totalement abandonné depuis bien longtemps, on apprend que le Lord Handerson, entré dans la vingtaine, cherche une épouse. Sa condition pour trouver celle qui aura l’honneur de décrocher sa main (et l’incroyable rente qui l’accompagne) : qu’elle passe une nuit à Blenkinsop castle, sans chaperon·ne. Mrs Watkins, désireuse de tirer le meilleur parti pour sa famille, envoie ses trois filles accompagnées de Samira, leur femme de chambre passer ce fameux test. Après les échecs successifs des sœurs Watkins, Samira passe le test à son tour et semble convenir pour la suite du processus de sélection…

Je n’en dis pas plus sur l’intrigue pour l’instant et vais donc m’attarder sur ce mystérieux Lord Handerson, qui semble tour à tour endosser le rôle de prince charmant et de Barbe bleue dans cette revisite des contes traditionnels, qui est un personnage qui m’a semblé particulièrement négatif. Et qu’un des personnages principaux soit négatif ne me gêne pas en soi, mais quand la narration s’attache à lui donner raison ou à lui trouver des excuses, ça passe directement moins bien. Je me dois de vous prévenir que mes explications vont divulgâcher certains événements clés de l’intrigue, mais je ne peux que passer par là pour expliquer tout ce qui m’a, plus que déçu, mis en colère dans ce roman. L’épreuve que doivent passer les prétendantes est de dormir sur un lit haut d’une dizaine de matelas. Après chaque nuit, lord Handerson demande à la candidate comment ça s’est passé et se base sur leur réponse pour déterminer la réussite ou l’échec de l’épreuve. Jusqu’ici tout va bien, même si on peut déceler dans l’attitude du jeune homme une certaine goujaterie, on pense encore que Samira et son caractère bien trempé pourront le remettre à sa place facilement. Là où ça se corse, c’est que, plus on avance dans le roman, plus on découvre les mystères du château qui se révèlent progressivement à Samira, plus on se rend compte qu’Handerson est un salaud. Il se vante dès le premier soir d’avoir une technique infaillible pour embrasser les jeunes filles et quand il la met en pratique, j’ai personnellement grincé des dents. Il se montre ne fait manipulateur, annonçant à Samira qu’il l’embrassera le lendemain à un moment précis de la journée, pour la mettre dans un tel état de confusion qu’elle va finalement aller l’embrasser avant la fin du compte à rebours, pour mettre fin à ses tourments. Allez, peut-être que j’exagère, peut-être qu’en fin de compte, cette technique est un peu mignonne tout de même et peut-être même que ça va plutôt bien avec les nuits que Samira passe sur son lit haut comme une tour rassurante comme un cocon et dans lequel elle fait chaque nuit des rêves érotiques qui la mènent souvent jusqu’à l’orgasme. Ou peut-être que lord Handerson est effectivement un sale type qui utilise sa magie pour introduire dans le lit de la jeune fille, à son insu, tantôt un doigt, tantôt un œil, tantôt une langue ! 

Des sales types, dans les contes, ça court les pages. Pourquoi alors m’insurger d’en trouver un ici ? Parce que, comme je l’ai dit, ce n’est pas tant la présence et la personnalité du lord qui me gênent que la manière que la narration a de légitimer l’ensemble. On trouve toutes les excuses du monde au jeune homme pour ce qu’on tente de faire passer pour des maladresses : il a eu une enfance difficile, coupé du monde très tôt, il ne se rend donc pas compte de ce qu’il fait. On est en réalité avec ce personnage en plein dans la culture du viol et rien n’est fait pour pointer du doigt les actions du personnage comme étant problématiques. Pire, Samira en redemande. Loin de se vexer d’apprendre que ses masturbations nocturnes ont été largement influencées sans son consentement par le lord, elle lui demande s’il ne pourrait pas plutôt lui envoyer sa queue la nuit d’après. Dommage pour un roman qui offre à ses jeunes lectrices une exploration du désir et de la sexualité… Tout ça passe d’autant plus difficilement à mes yeux que, par bien des aspects, le texte se veut féministe : on nous dit à quel point la condition des femmes, forcées à ne s’élever qu’en tant qu’épouses, pouvait être étouffante tout en essayant de faire passer pour une romance une relation malsaine dans laquelle la jeune femme est clairement sous l’emprise de son amant (je laisse quelques extraits sur mon compte Instagram pour que vous puissiez vous rendre compte ou, au contraire, vous dire que je suis à côté de la plaque). 

Et je ne parlerai même pas du conflit final, où toutes les anciennes prétendantes (ensorcelées par la méchante future marâtre de Samira) s’attaquent à la jeune femme pour les beaux yeux du lord, qui m’a fait lever les miens au ciel à de nombreuses reprises.

Bref, avec moi, non seulement, ça ne l’a pas fait, mais j’étais de surcroît révolté qu’un tel texte puisse être à ce point porté aux nues sans être questionné une seule fois. Et c’est d’autant plus dommage que la plume de l’autrice m’a vraiment conquis dans un premier temps ! 

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