Avis #42 : Les nouvelles hétérosexualités - Daniel Welzer-Lang

Ne parvenant pas à me concentrer pleinement sur les romans que j'essaye de lire ces derniers temps, j'ai décidé de changer de registre et de lire, une fois n'est pas coutume, un essai.

Les nouvelles hétérosexualités de Daniel Welzer-Lang m'a interpellé par son titre. Enfin, c'est plutôt le sous-titre qui m'a fait m'arrêter dessus : je ne voyais pas comment des termes tels que pansexualité et bisexualités ou des notions liées au genre tels que non-genre et cis-genre (que je n'avais jamais vu orthographié de la sorte) pouvaient être englobés dans une théorisation des hétérosexualités. Ce que Daniel Welzer-Lang nous explique ici, c'est la manière dont la critique de l'hétéronorme, par le biais de la remise en question du genre et des normes sexuelles, a cessé d'être une question exclusivement relative aux LGBT+ pour atteindre les sphères à priori hétérosexuelles. Il dresse à cette fin un inventaire de ces remises remises en cause qu'il place dans trois classes distinctes : identités de genre, identités/orientations sexuelles ou relationnelles et dispositions sexuelles. Bien que j'aie trouvé cette lecture fort intéressante, je ne ressors pas totalement convaincu par cette lecture et ce, pour plusieurs raisons. 

La première est que je ne parviens pas totalement à comprendre le but poursuivi par l'auteur avec la publication de cet ouvrage qui, l'auteur nous le dit dès les premières pages, « s'adresse à ceux et celles qui essaient de s'informer sur les nouvelles formes de sexualités, que l'on soit personnellement concerné-e, ou que l'on soit étudiant-e ou professionnel-le, chercheur-e en sciences sociales, sexologue ou chargé-e de mettre en place une forme ou une autre de prévention ». Public-cible qu'il rappelle au bon souvenir des lecteur·rice·s en guise de conclusion, précisant au passage que « ce livre de sociologie du genre et des sexualités se veut aussi manuel à l'usage de (...) ceux, celles et les autres qui, en sexologie, dans l'enseignement ou dans le travail sanitaire et social, vont suivre (...) les évolutions des moeurs, en respectant les droits inaliénables de chaque personne ». On est donc face à un document destiné à la fois à des personnes lambdas et à des professionnel·le·s et qui vise à l'informer. Si le juste milieu entre la vulgarisation et le discours sociologique semble de prime abord atteint, j'ai personnellement du mal à voir en quoi cet ouvrage peut devenir un manuel professionnel tant on peine à sortir de l'énumération ou de la description. On effleure parfois à peine les problèmes potentiellement rencontrés par l'un ou l'autre groupe ; le livre ne permet dès lors pas, selon moi, aux professionnel·le·s de penser leur métier en vue d'une adaptation de leurs services à un public appartenant à l'une des catégories décrites.

Autre point qui m'a relativement gêné dans ma lecture : le traitement de certaines notions. J'ai parfois été surpris par l'absence de certaines réflexions ou par l'utilisation de certains termes quand il était question par exemple de transidentité ou des bisexualités. Il m'a par exemple semblé étonnant que l'auteur distingue les « transexuel·le·s [qui] veulent changer de sexe par opération chirurgicale et prise d'hormones pour obtenir un nouvel état civil avec changement de sexe » et les « transgenres [qui] refusent ce diktat médical, et veulent aussi vivre avec une présentation de soi qui corresponde à l'autre sexe que celui de leur naissance, sans forcément passer par les divers médecins et psychologues ». Je ne suis pas un spécialiste de la « question trans » mais j'ai souvent eu l'occasion de voir, sur les réseaux sociaux notamment, des personnes trans expliquer que le terme « transexuel » était, historiquement, lié à une conception pathologisante de la transidentité (alors appelée transexualisme) et qu'il a été remplacé par le terme « transgenre » pour que l'opération chirurgicale ne soit plus considérée comme le but ultime de toute transition. Bien que je ne doute pas que certaines personnes se définissent en tant que personnes transexuelles, je suis quasiment persuadé que certaines personnes ayant eu recours à l'opération de réattribution sexuelles refusent cette dénomination. Je trouve dès lors dommage que l'auteur n'évoque pas les débats qui peuvent exister autour de ces questions de terminologie. 

Même soucis selon moi dans la partie consacrée aux bisexualités masculines ou Daniel Welzer-Lang évoque les hommes gays qui, pour que leur coming-out passe mieux, se sont d'abord proclamés bisexuels et pour qui « les bi n'existent pas [et] la catégorie bi est une catégorie de transition »  avant de parler des « autres hommes bis [qui] viennent de l'hétérosexualité » qui doivent garder leurs penchants bisexuels secret car élevés dans une conception hétéronormée de la masculinité. Je ne pense pas que l'auteur considère les hommes bisexuels comme faisant partie soit de la première catégorie, soit de l'autre mais, dans un livre qui se veut informatif et qui, par conséquent, pourrait être lu par des personnes ne connaissant rien de la bisexualité, ou ayant des a priori sur le sujet, il me semble une fois de plus dommage que l'auteur ne précise pas que dans de nombreux cas, la bisexualité est vécue comme une identité/orientation sexuelle à part entière et qui ne sera pas forcément gardée secrète. 

Ces quelques réserves mises à part (mais peut-être sont-elles le résultat d'une mauvaise interprétation de ma part ?), j'ai apprécié voir comment la remise en cause de nos conceptions du genre et de la sexualité a pu sortir des sphères purement militantes pour être discutée dans des lieux de rencontres réels ou virtuels. Les nouvelles hétérosexualités laisse entrevoir un futur ou le genre et la sexualité seront repensés pour atteindre une égalité débarrassée de rapports de dominations induits par l'hétéronorme, dont la description dans le premier chapitre de l'ouvrage est vraiment très intéressante.

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