Avis #45 : Manuel de survie à l'usage des jeunes filles - Mick Kitson

Troisième roman de la sélection du Prix du Meilleur Roman des lecteurs de Points 2020, Manuel de survie à l'usage des jeunes filles de Mick Kitson est un roman qui se trouve à la lisière entre le roman d'apprentissage et le nature writing

Nombre de mes co-juré·e·s ont souligné la comparaison possible entre ce texte et Dans la forêt de Jean Hegland, roman que je n'ai pas (encore ?) lu. Ma lecture n'a donc pas été freinée par ces ressemblances qui, à en croire les dire d'autres lecteur·rice·s (over.booke et jiemde pour ne citer qu'eux), fait que le roman de Mick Kitson souffre de la comparaison. Pour ma part, je n'ai pu m'empêcher de penser en lisant ce roman à My absolute darling de Gabriel Tallent, dont j'ai abandonné la lecture il n'y a pas si longtemps, ne parvenant pas à me laisser séduire par les longues descriptions de la nature dans laquelle évolue Turtle. 

Des points de comparaison entre les deux romans, il y en a beaucoup. À commencer par l'omniprésence de la forêt, qui tient ici à la fois un rôle de refuge pour les deux jeunes héroïnes qui ont décidé de s'y cacher. Si les descriptions présentes dans le livre de Gabriel Tallent ont eu tendance à me laisser de marbre, celles que Mick Kitson nous livre par la voix de Sal ont su capter mon attention. Au fil de ma lecture, je me suis délecté des nombreuses anecdotes que la jeune fille a apprises majoritairement grâce à des vidéos sur Youtube et dont elle découvre l'application dans la vie réelle en fonction des événements qui leur arrivent, à elle et à sa petite soeur Peppa. J'ai aimé cette façon qu'avait l'auteur de nous apprendre des choses, de manière simple et efficace : je ne savais par exemple pas que la salive des brochet contenait un anticoagulant lui permettant de laisser sa proie se vider de son sang ; j'ignorais également que la résine de pin pouvait être utilisée aussi bien pour ses propriétés antiseptiques que pour créer des bougies ou pour servir de colle à bois.

Autre point de comparaison possible : les héroïnes. Sal, comme Turtle dans le roman de Gabriel Tallent, est entrée récemment dans l'adolescence, a une scolarité rendu difficile par sa situation familiale et son caractère solitaire et est sous l'emprise d'un homme abusif. Dans le cas de Sal, cet homme est Robert, le compagnon de sa mère. Alcoolique, il se montre régulièrement violent envers sa compagne ou les filles. Depuis que Sal a dix ans, il lui rend également visite certains soirs pour la violer. La mère ne peut agir pour protéger sa fille, ses réactions étant empêchées par l'alcool qu'elle ingurgite jusqu'à se retirer du monde. Quand Robert menace de s'en prendre à Peppa, c'en est trop pour Sal qui planifie alors le meurtre de son beau-père et sa fuite dans les bois en compagnie de sa sœur. De nombreuses vidéos sur Internet, des tutos et des reportages de Bear Grylls principalement, lui servent d'entraînement. Le récit débute alors que Sal et Peppa sont déjà dans la forêt : elles ont déjà construit un abri, fait du feu et ont déjà commencé à s'habituer à leur nouvelle vie sauvage. Les informations sur ce qui s'est passé nous sont livrées par petites touches, comme elles viennent à l'esprit de l'héroïne, qui peut de prime abord sembler un peu trop mature pour une jeune fille de treize ans, mais l'origine de sa maturité prend tout son sens au fur et à mesure qu'on découvre sa vie d'avant la fuite. Toutefois, malgré la noirceur du propos, l'auteur ne verse jamais dans le sordide et ne tombe pas dans une surenchère du glauque, laissant filtrer la lumière dans son récit comme les rayons du soleil traversent les feuilles des arbres.

Les personnages de Mick Kitson se révèlent de plus en plus profonds tout au long du récit et j'ai personnellement pu entrer en empathie avec chacun·e. À la froideur méthodique de Sal et à l'optimisme à toute épreuve de Peppa, s'ajoute la douceur d'Ingrid, doctoresse berlinoise née en 1940 qui, après une vie bien remplie en RDA et en Grande-Bretagne, a décidé de se retirer dans les bois écossais. La vieille femme va prendre les fillettes sous son aile, les accompagnant dans leur survie d'abord, dans leur volonté de retrouver leur mère ensuite, sans jamais les juger et en leur apportant au contraire un soutien inconditionnel. Je pense que c'est Ingrid qui m'a le plus touché dans ce roman : son abnégation, sa tendresse et son côté « sorcière » lui confèrent un caractère sympathique indéniable. La relation qui se tisse entre elle et les enfants est rendue par l'auteur avec une jolie finesse, qui m'a totalement séduit.

J'ai donc été convaincu par cette troisième lecture du Prix du Meilleur Roman des lecteurs de Points mais, malgré tout, le roman d'Heather O'Neill conserve pour l'instant ma préférence !


Classement provisoire pour le PMR :
1. Les enfants de cœur / Heather O'Neill
2. Manuel de survie à l'usage des jeunes filles / Mick Kitson
3. Roissy / Tiffany Tavernier 

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