Avis #46 : Puissions-nous être pardonnés - A.M. Homes

Il y a un peu plus de deux mois, je mentionnais le fait que je participe cette année à une tournante littéraire organisée par une amie au cours de laquelle l'occasion me sera donnée de lire six romans sélectionnés par les six autres participant.e.s. Il est normalement prévu que chaque livre nous soit prêté pour une période d'un mois avant d'être passé à la personne suivante, mais je suis tout bonnement incapable de me conformer à un calendrier de lecture. Il n'est donc pas étonnant que ma seconde lecture dans le cadre de cette tournante ait eu lieu deux mois après la première. Quelques péripéties font également qu'elle ne soit pas la deuxième prévue selon l'ordre de passage des livres : La langue de ma mère de Tom Lanoye est toujours chez mon amie et je suis en passe de terminer Les enfants du fleuve de Lisa Wingate. Puissions-nous être pardonnés d'A.M. Homes était donc supposé être le quatrième roman que je devais lire et faire passer mais, au vu de son volume impressionnant, j'ai préféré m'y attaquer dès le début de mes congés de fin d'année !

Je ressors de cette lecture légèrement perplexe, incapable de me prononcer de façon franche et assurée quant à ce que j'en ai réellement pensé. J'ai avalé les 684 pages de ce roman assez rapidement, appréciant le rythme et la fluidité du récit tout en ayant à de nombreuses reprises levé les yeux au ciel face à certaines phrases ou situations.

Ça partait plutôt bien. Harold Silver, le narrateur installé dans une routine confortable, voit le début des ennuis arriver quand il commence à désirer Jane, la femme de son frère George. Après que celui-ci a tué une famille dans un accident de voiture, Harold s'installe chez eux, le temps d'aider Jane à faire face à cette catastrophe. Très vite, il remplace son frère dans le lit conjugal jusqu'à ce qu'un deuxième drame le contraigne à s'occuper d'Ashley et Nate, les enfants de George et Jane. Malgré la noirceur du tableau, j'ai été très rapidement séduit par le ton du récit qui présente dès le début des traits d'humours qui m'ont donné l'impression que j'avais entre les mains un livre digne des comédies les plus drôles de Woody Allen. La situation tendue entre les deux frères laisse place à des dialogues truculents : « — Ça ne plaisante pas, dis-je à George lorsqu'elle tire le rideau, l'aiguille à la main, avec quatre types en renfort derrière elle. À propos de déjeuner, je vais faire un saut à la cafétéria. Tu ne mourras peut-être pas aujourd'hui, dit-il, mais je te déviderai comme une bobine de fil. Je te rapporte quelque chose ? dis-je, l'interrompant. Des cookies. »

C'est après les premières péripéties que ça commence à se gâter. Au bout d'un moment, les rebondissements s'enchaînent à un tel point qu'on n'est même plus surpris. Tout est tellement gros, dans une surenchère du malheur qui s'acharne sur le pauvre Harold, qu'on ne peut plus y croire. D'autant plus que l'autrice semble avoir eu envie de donner à son récit de nombreuses directions qu'elle n'explore finalement que trop peu : Ashley vit une situation délicate à l'école donc on ne parlera quasiment plus une fois qu'elle aura été exposée et (plus ou moins) réglée ; Ricardo, l'enfant dont les parents sont morts dans l'accident causé par George, est présenté comme étant difficile en raison d'une forme d'hyperactivité mais se retrouve finalement docile et semble ne jamais vraiment poser problème... Par ailleurs, les personnages et leurs actions tendent à manquer de vraisemblance. Nate, par exemple, se révèle plus mature que ne le pensait son oncle : du haut de ses treize ans, il est doté d'une conscience politique particulièrement aiguë et a participé à la construction d'une école dans un village d'Afrique du Sud dans lequel il est considéré comme un sauveur et qui a été renommé en son honneur. La famille se rendra d'ailleurs à Nateville pour y célébrer la bar-mitsvah du jeune homme.

La partie du roman relatant le voyage qu'entreprennent les personnages en Afrique du Sud est symptomatique d'un autre point m'ayant dérangé au cours de ma lecture. Pendant tout le récit, comme un fil rouge, le rêve américain est au cœur du discours du narrateur. Cela se marque essentiellement dans le livre qu'il prépare sur l'ancien président Richard Nixon, sujet du cours qu'il dispense à l'université, mais la thématique transparaît également dans l'entièreté du roman. Là où la pillule est parfois difficile à avaler, c'est que le mode de vie américain est généralement présenté comme le seul valable pour accéder au bonheur. Ce n'est donc pas un hasard si le récit s'ouvre et se ferme sur un repas de Thanksgiving, fête américaine par excellence. On frôle l'écœurement quand on la famille en cours de construction débarque en Afrique du Sud en y amenant son argent et ses coutumes, qui ne manquent pas d'intéresser vivement les Africains, touchés par une telle générosité. Et on atteint des sommets quand, au moment de partir, Harold hésite à emmener avec lui le jeune maître d'hôtel pour lui offrir une vie meilleure. Un regard paternaliste qui n'est quasiment pas réfuté par la suite, dommage.

Et pourtant, malgré tous ces défauts, je me suis pris au jeu et ai suivi avec un intérêt certain les tribulations de cet homme qui, en essayant de réparer ses erreurs et celles de son frère, se découvre et réinvente sa vie pour lui trouver un sens nouveau. J'ai eu beau souffler à de nombreuses reprises devant ces personnages qui m'ont paru trop peu profonds et m'agacer de certains traits d'humour un peu faciles et désuets (la femme d'Harold mise à part, tous les personnages asiatiques du livre parlent difficilement, ce qui, je pense, était destiné à nous faire rire), je n'ai pas pu m'empêcher de remarquer, en arrivant au dénouement, que je les quittais à contrecœur, m'y étant attaché plus que je ne pensais.

En définitive, Puissions-nous être pardonnés, s'il ne m'a pas fait forte impression et s'il ne restera pas gravé à tout jamais dans ma mémoire, est un roman divertissant dont j'ai su apprécier la lecture malgré tout.

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