Avis #48 : Un enfant - Patricia Vergauwen et Francis Van de Woestyne

Je ne vous ai pas encore parlé du dernier roman lu en 2019 que j'ai déjà envie de mettre ma première lecture de 2020 en avant. Plus qu'une envie, c'est une sorte d'urgence que je ressens. Parce que c'est fort, parce que c'est beau. Parce que je n'ai jamais autant pleuré face à un livre qu'en lisant Un enfant de Patricia Vergauwen et Francis Van de Woestyne, paru en octobre dernier chez Grasset. Si vous ne deviez lire qu'un livre cette année, s'il vous plaît, faites que ce soit celui-ci.

Patricia Vergauwen est pédiatre, Francis Van de Woestyne est éditorialiste à La Libre Belgique. Ils forment une famille recomposée qui compte cinq enfants, mais ils en ont perdu un. Le vendredi 4 novembre 2016, Victor, l'enfant qui est né de leur union treize ans plus tôt, chute du toit et décède. Un enfant est le récit de ce deuil impossible, de cette douleur avec laquelle il faut apprendre à vivre, de ce manque qui remplit l'espace.

Il m'est impossible de parler de ce livre avec une dimension critique objective, tant le sujet est personnel et tant les émotions prennent le dessus. Quand le livre est arrivé à la bibliothèque, j'ai d'abord pensé que je ne le lirai jamais. Le titre ne me parlait pas, la couverture me semblait peu engageante. C'est au moment de l'encoder que j'ai découvert la présentation de la quatrième de couverture : bien que ma curiosité ait été piquée au vif, je ne pensais toujours pas l'emprunter. J'avais peur d'adopter une posture voyeuriste en lisant un tel témoignage. Avant de le mettre de côté pour qu'il soit équipé en vue du prêt, je l'ai ouvert pour en lire la première page. Et là, en découvrant les premiers mots du père, j'ai compris que je ne pouvais pas passer à côté ! « Ce soir, lors d'un dîner entre amis, la conversation tournoie : la météo, les bobos des uns et des autres. Puis - et c'est bien normal - ce sont les enfants. L'un des parents évoque la tristesse qu'il ressent lorsque le sien part en pension. Un autre raconte la douleur quant son fils part au camp. Un troisième se dit déchiré, ne fût-ce que quelques minutes, quand son fils ne répond pas tout de suite au téléphone, à la sortie de l'école.
Depuis deux ans, ton portable résonne dans le vide. »

Le récit alterne les textes de Patricia Vergauwen et ceux de Francis Van de Woestyne pour évoquer l'événement tragique qui a enlevé à cette famille et à leurs proches un fils, un frère, un filleul, un neveu, un ami. Derrière les mots, des émotions brutes et intenses qui sautent des pages pour bousculer, frapper, toucher. Il ne m'aura fallu que quelques pages pour me mettre à pleurer. Pas avoir les larmes au coin des yeux. Pleurer. J'ai dû interrompre plusieurs fois ma lecture en cet après-midi du 1er janvier car ma vue était brouillée. Mais je l'ai tout de même lu sans rien faire d'autre que lire et sécher mes larmes, presque d'une traite donc, ce qui ne m'arrive jamais.

Un enfant dépasse le genre du témoignage. C'est un texte résolument littéraire, qui rend le plus beau des hommages à ce jeune garçon qui ne cessait de lire que pour être l'enfant solaire et altruiste qu'il était. Les phrases de Francis Van de Woestyne, courtes et percutantes, soulignent parfaitement la détresse du père face à cette tragédie : « Le papa d'Ernest arrive. Il tente de me relever. Je n'ai plus de jambes, plus de bras. Je ne suis plus qu'un cœur en morceaux. » L'écriture de Patricia Vergauwen est plus liée, reflet de cette apparente maîtrise du chagrin qu'elle porte rapidement pour ne pas sombrer. « Parfois, je me dis que si je m'étais complètement laissée aller, je devrais moins justifier ma douleur auprès de certains. Justifier l'injustifiable. Prouver que ta mort est aussi la mienne au quotidien. »

Ce témoignage, c'est aussi l'occasion de montrer la douceur et l'amour dont sont capables les autres. Les deux parents dépeignent la tendresse et la sollicitude de toutes les personnes qui se montrent présentes pour les soutenir, depuis la femme urgentiste arrivée sur les lieux pour tenter de sauver Victor jusqu'aux membres de la famille, en passant par les commerçants du quartier bruxellois dans lequel ils habitent et les amis, les voisins, les collègues, les infirmiers. « Étonnant de voir cette humanité chez ceux que je côtoie sans les connaître vraiment. Étonnant de sentir cette proximité qui ne vient pas forcément des plus proches. Rassurant de voir comme finalement, l'être humain, quelle que soit sa culture, sa situation sociale, son éducation, eut être bon. Juste. Comme il peut donner par sa présence. Comme il peut soulager par un regard. »

Afin de perpétuer la mémoire de leur fils à travers une démarche porteuse de sens, Patricia Vergauwen et Francis Van de Woestyne ont fondé le Fonds Victor, qui vise à promouvoir la lecture auprès des jeunes.

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