Avis #51 : Je suis Camille - Jean-Loup Felicioli

Syros jeunesse nous vend la mèche dans le résumé de la quatrième de couverture de cet album de Jean-Loup Felicioli : Camille est une jeune fille trans. Je précise que c'est l'éditeur qui nous le révèle parce que, dans la première moitié de l'album, rien ne nous permet de savoir que Camille n'est pas cisgenre. Elle nous est présentée comme une petite fille ayant quitté Los Angeles avec sa famille à la suite d'un mystérieux évènement qui l'a manifestement ébranlée. Camille s'apprête à faire son entée en sixième, un grand moment dans sa nouvelle vie française. À l'école, malgré les premières appréhensions, elle noué très vite une amitié profonde avec Zoé. Les deux jeunes filles passent tout leur temps ensemble : qu'elles parlent de Rémi, le beau garçon de quatrième dont s'est amourachée Zoé, ou qu'elles se réunissent autour de leur passion commune pour la musique, leur complicité semble plus forte chaque jour.

Aucun moyen pour les lecteur·rices donc, de savoir que Camille est transgenre. Bien sûr, on sait d'emblée qu'il y a quelque chose, et on peut déduire, en restant attentif aux indices glissés çà et là, que le problème qu'a rencontré Camille à Los Angeles est lié à la féminité puisqu'elle mentionne notamment « [sa] première fois avec une jupe (...) le jour où [sa] vie s'est effondrée » et qu'elle s'agace quand le prof de SVT lui demande si c'est Camille fille ou Camille garçon lors de sa première journée d'école.

Ce n'est donc qu'au milieu du récit que l'on apprend la transidentité de l'héroïne. Après avoir été surprise aux toilettes par la tante de Zoé, Camille décide de confier son secret à sa meilleure amie, qui, si elle est un peu étonnée face à cette situation qu'elle n'est pas certaine de comprendre entièrement, ne voit pas ce que cela pourrait changer à leur amitié.

C'est une vraie belle découverte que cet album de Jean-Loup Felicioli. La transidentité y est présentée comme quelque chose de banal, d'anodin, sans pour autant mettre de côté les difficultés que peuvent rencontrer les enfants trans. Camille a été moquée quand elle a décidé de se vivre comme elle se ressent et craint tout naturellement de connaître les mêmes désagréments lors de son nouveau départ. Ce n'est pas la question de l'identité de genre qui crée le trouble du personnage ici, mais plutôt la question du coming out. Camille n'a aucune incertitude sur son identité, c'est un questionnement par lequel elle et sa famille sont déjà passés quand s'ouvre le récit. Ses parents et sa petite sœur ont bien intégré que Camille est une fille, et celle-ci s'est construite comme n'importe quelle petite fille. Les difficultés qu'elle rencontre sont liées à l'éventuel regard des autres et cette question de la révélation à autrui de son identité est traitée avec une jolie finesse : pas de discours disant qu'il faut impérativement tout révéler à tout le monde, mais bien l'affirmation qu'il faut se sentir prêt.e pour le faire. C'est à Camille de décider quand et à qui elle parle de sa transidentité.

J'ai été très touché par cet album, qui offre une représentation positive d'un personnage trans (si vous avez d'autres exemples dans les albums jeunesse, je suis preneur !) et qui montre sans trop les les souligner la difficulté d'être soi-même face à autrui. Cet aspect est rendu de façon très douce et pourtant très émouvante quand la maman de Camille lui dit ses mots pour la réconforter : « Tu as choisi de vivre en écoutant ce que tu ressens au fond de toi. Et ce n'est pas un chemin facile. (...) Aie confiance, tu es beaucoup plus forte que ce que tu crois ».

En ne faisant entrer en jeu la thématique dès les premières pages, l'auteur laisse aux enfants qui liront cette histoire le temps de s'identifier au personnage pour ce qu'on nous donne de sa personnalité. De cette manière, il signe un livre universel, qui n'est pas réservé aux seul·es concerné·es (à ce sujet, j'estime qu'aucun livre traitant d'identités ou de sexualités autres que l'identité cisgenre et l'hétérosexualité n'est réservé qu'aux personnes concernées, mais certains peuvent parfois en donner l'impression).

Pour ne rien gâcher, les illustrations sont magnifiques et s'étalent sur de grandes pages. Un énorme coup de cœur à offrir aux enfants, dès 8 ans. 

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