Avis #53 : Maison des autres - Silvio D'Arzo

Mes beaux-parents, que je n'ai rencontré qu'il y a peu de temps, ont déniché pour moi lors d'un séjour à Bordeaux, un texte bref mais pourtant emblématique de la littérature italienne : Maison des autres de Silvio D'Arzo, réédité dans la collection poche des éditions Verdier, maison que j'aime particulièrement parce qu'elle a publié Mathieu Riboulet, l'un de mes auteurs préférés. Face à la difficulté de choisir un livre pour une personne dont on ne connaît pas les goûts, ils ont décidé de faire confiance aux recommandations des libraires de La Machine à lire et ils ont bien fait !

Maison des autres est une nouvelle rondement menée qui dessine le caractère absurde du quotidien avec précision et poésie.

Découpé en quinze parties, le texte expose la rencontre entre le curé de Montelice, petit village en montagne composé de sept maisons « plus deux rues caillouteuses, une cour qu'on appelle la places, un étang, un canal, et des montagnes autant qu'on en veut », et une vieille dame, qui passe ses journées à laver des vêtements dans le canal. Étonné de voir ici une personne qu'il ne connaît pas, le curé décide d'attendre qu'elle vienne à lui puisque, dans le village, tout le monde finit par venir à lui à un moment ou à un autre. En attendant, il l'observe, souhaitant ne plus la croiser lors de ses promenades mais profondément inquiet quand il ne la trouve pas là où elle devrait être. La vieille dame finit par se présenter auprès du curé, lui posant une question sur la position de l'Église sur le divorce et le remariage, qui semble cacher une question plus profonde, plus difficile à formuler, sans doute douloureuse. La dame se rétracte au dernier moment, tente d'échapper aux interrogations du prêtre, lequel n'aura alors qu'une idée en tête : savoir ce que la dame garde en elle.

Il y a une grande portée philosophique dans cette soixantaine de pages. Les lieux décrits avec subtilité par l'auteur, laissant voir les différentes nuances par lesquelles se dévoile la nuit, soulignent la solitude dans laquelle les personnes de ce village où les gens « vivent et c'est tout » avant de mourir se trouvent. C'est qu'il ne se passe jamais rien à Montelice : il pleut, il neige et les chèvres passent. Rien d'autre. 

Ce qui confère à Maison des autres toute sa force, c'est sa construction narrative. Les parties qui composent le texte semblent se tourner autour en même temps qu'elles se tournent sur elles-mêmes. Les actions se répètent comme les jours se répètent dans ce petit village, et répondent parfaitement aux questions obsédantes qui fleurissent dans l'esprit du prêtre depuis l'arrivée de l'inconnue. Une tension s'installe progressivement : que cherche à savoir cette dame qui semble impossible à formuler ? Quand, enfin, on en obtient la réponse, quelque chose en nous se brise dans une sensation proche de celle que l'on ressent lorsque l'on rate une marche. Et on reste avec des questions plein la tête.

« Une pépite », clame Hélène (est-ce bien Hélène que je lis ?) de La Machine à Lire sur le bandeau. Un commentaire à peine plus laconique que ce texte dont le sens s'inscrit entre les lignes, mais fort juste !

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