Avis #55 : L'été des charognes - Simon Johannin

Sixième lecture du Prix du Meilleur Roman des lecteurs de Points 2020, L'été des charogne de Simon Johannin est un livre que j'avais vraiment hâte de découvrir. Le titre et le sujet m'ont directement semblé prometteurs d'un roman porteur d'une qualité que j'aime énormément : l'esthétisation du moche et du sale. Mon expérience de juré me permet de dégager une espèce de loi relative à cette sélection 2020 du PMR : les romans qui me tentent le moins me séduisent, ceux que je me rejoins de découvrir ont tendance à me décevoir. Ainsi, je ne ressors pas complètement emballé de ma lecture de ce premier roman de Simon Johannin, qui n'en demeure pas moins doté de nombreuses qualités.

L'été des charognes est celui qui marque la fin de l'enfance du narrateur (je suis aujourd'hui incapable de me souvenir s'il est nommé ou non, tant il m'a paru être conçu comme un enfant-type - et ce n'est pas un défaut selon moi - de cette ruralité profonde qui constitue le cadre du roman, un enfant qui ne constitue pas tant un personnage mais plutôt un regard sur ce qui l'entoure). Celui-ci a grandi dans le hameau de La Fourrière, « bout de goudron qui finit en patte d'oie  pleine de boue dans la forêt et meurt un peu plus loin après les premiers arbres », endroit constitué de trois maisons à peine et où on s'ennuie tellement que les gamins n'ont rien de mieux à faire que de caillasser les chiens d'une voisine par vengeance, de se balancer de la merde au visage, de jouer près des corps d'animaux morts et d'aller regarder la télé chez une vieille dame d'un des hameaux environnants. Endroit où on apprend très tôt à dépecer les animaux pour se nourrir et à conduire pour pouvoir ramener les parents bourrés les soirs de fête. 

Dès les premières lignes, le ton est donné : accompagné de Jonas, le narrateur venge la mort de son chat en jetant des pierres sur le chien de la « grosse conne » qui l'a écrasé jusqu'à ce qu'il ne « [reste] plus que des poils, du sang et un bruit d'os mouillé qui flottait dans l'air humide de la cabane ». On comprend rapidement que Simon Johannin ne nous ménagera pas, que son roman n'a pas prévu de tenir compte de la sensibilité du lecteur, ou alors de la prendre en compte, mais pour mieux la bousculer. Directement, en quelques mots, le charme opère. Il y a une force dans les phrases de Simon Johannin qui m'a empêché de détourner le regard. J'avais beau savoir que ma place n'est pas à La Fourrière, je n'avais qu'une envie : la découvrir dans ses moindres recoin à travers les yeux et le verbe du narrateur. Le jeune garçon a cette innocence qui n'est pas de la naïveté mais qui est celle des enfants pour qui leur vie est la seule réalité possible. Il se dégage alors des descriptions que l'enfant nous fait de son quotidien une tendresse un peu crasse et un peu brute. « Ma mère elle a pas beaucoup de mots qui sortent de la bouche, elle nous fait plutôt des regards. (...) Elle a des yeux fatigués comme des amandes sèches, pour dire des choses elle regarde et nous autour on sait qu'il faut pas l'emmerder ou glisser du couloir vers la chambre. »

Les deux premiers tiers du livre nous montrent donc l'enfance qui touche à sa fin. Si l'écriture magnétique m'a emporté, je me suis assez vite lassé du fond, ne voyant pas où l'auteur voulait nous amener. Puis la rentrée des classes dans une nouvelle école arrive. Là-bas, après un long chemin en bus à travers différents villages qui ont chacun leur propre odeur en fonction de l'usine qui y est implantée, il faut se faire respecter à la force des poings. C'est aussi, pour le narrateur, le moment où l'innocence se fissure, avant de se briser complètement : « je commençais à être secoué par les premières crises, mon crâne s'ouvrait parfois sur l'air froid et la panique me mordait le dos, j'avais l'angoisse au corps ». Enfin vient l'âge adulte, loin de La Fourrière, loin de l'enfance, au bord de la perte de contrôle. C'est le temps de la défonce aux anxiolytiques et à l'alcool. Et c'est là que l'auteur m'a complètement perdu, que je suis resté sur le bord de la route. Le style change avec l'apparition des premières crises : il se fait plus métaphorique, s'ancre moins dans la réalité poussiéreuse pour approcher la poésie. Certaines images sont belles mais elles se sont fondues dans un magma de phrases à portée symboliques qui m'a laissé insensible.

L'été des charognes est donc un roman qui, malgré de belles qualités littéraires, ne m'a pas fait forte impression par son sujet qui n'a pas suscité mon intérêt. J'ai aimé l'auteur, moins le livre.

Commentaires

Articles les plus consultés