Avis #59 : Marche blanche - Claire Castillon

Insecte, recueil de nouvelles de Claire Castillon explorant les relations mères-filles, a marqué un tournant dans ma vie de lecteur : je l'ai lu alors que j'avais treize ou quatorze ans, au début de cette période étrange qu'est l'adolescence et au cours de laquelle mes goûts de lecteur commençaient à s'affirmer. Depuis, le nom de Claire Castillon me vient presque systématiquement en tête quand on me demande quel·les sont mes auteur·rices préférés, et ce malgré le fait que je n'ai lu qu'un autre livre de l'autrice, Pourquoi tu m'aimes pas ?, dont je n'ai aucun souvenir.

Quand j'ai vu Marche blanche, édité par Gallimard se dresser fièrement sur la table de la Librairie les Augustins, je n'ai pas hésité deux secondes et je l'ai acheté, désireux de retrouver l'écriture de Claire Castillon. Le sujet évoqué dans ce roman aurait pu faire l'objet d'une nouvelle dans le recueil précédemment cité : la narratrice (est-ce une tendance de plus en plus répandue de ne pas nommer les narrateur·rices, ou est-ce moi qui oublie systématiquement leurs noms ?) a perdu sa fille Hortense de quatre ans le 23 janvier 2008, alors qu'elles jouaient à cache-cache en attendant que vienne l'heure de leur rendez-vous chez le dentiste. Dix ans plus tard, quand une famille emménage aux Rousses, dans la maison en face de la sienne, la mère reconnaît en Hélène la jeune fille qu'aurait pu devenir Hortense. Peu à peu, la certitude que sa fille est revenue s'installe, s'enracine en elle, et ne lui laisse qu'une idée en tête : renouer avec sa fille disparue.

Il y a dans ce roman de Claire Castillon une tension constante qui donne au récit des allures de thriller. La logique implacable et désespérée de cette mère aux abois nous convainc et nous perd tour à tour : qu'importe que la jeune adolescente n'ait pas la même cicatrice qu'Hortense, il ne peut s'agir que de la même enfant ; bien, Hélène a l'âge qu'aurait la petit aujourd'hui mais ça ne peut être qu'une coïncidence. C'est en effet dans les délires les plus insensés de la narratrice que l'on a envie de croire en un retour aussi inespéré qu'inattendu alors que les évidences nous poussent à la méfiance.

Claire Castillon parvient à dépeindre la douleur d'une mère qui a vu (ou plutôt qui n'a justement pas vu, puisqu'elle gardait les yeux fermés le temps de compter jusqu'à trente, s'arrêtant à vingt-sept suite à un mauvais pressentiment) sa fille disparaître sans entrer dans le pathos, ne s'autorisant quelques envolées lyriques que lorsqu'il s'agit de parodier, non sans une certaine ironie, le style de Michel Florent, journaliste régional dont la disparition d'Hortense n'a cessé pendant ces dix années d'être le sujet de prédilection. Il y a dans les phrases de l'autrice des mots qui nous heurtent, qu'on se prend dans le ventre et dans le cœur : « Carl n'a pas regardé la maison d'en face. Il a regardé mes yeux, mon front, puis quelque chose derrière moi. Il a prononcé l'expression "morte-vivante", et il y a cru au moins le temps de dire : "Tant qu'on ne nous apporte pas les preuves de sa mort, elle est vivante." Et moi, tant qu'elle n'est pas vivante, je suis morte. »

Dans sa folle envie de reconnaître sa fille dans la maison d'en face, la narratrice se perd et risque tout, jusqu'à sa relation avec Carl, son compagnon qui tente de la raisonner et de la rassurer. Carl qui, avec son gilet gris, est devenu un bon père au moment où il ne l'a plus été tout à fait. Carl qui n'a jamais tenu sa femme pour responsable de la perte de leur fille et qui n'a cessé d'être un soutien indéfectible pour la maintenir sur pied et qui, pourtant, doit subir régulièrement les assauts de la narratrice. Carl qui souhaite plus que tout pouvoir tourner la page, mais qui ne sait plus comment gérer les délires paranoïaques de sa compagne.

C'est un texte vibrant, douloureux, qui nous tient dans ses griffes jusqu'au dénouement. Il y a dans le style sec et nerveux de l'autrice un charme vénéneux qui n'en finit plus de nous faire sombrer dans la même folie que la narratrice. Un livre qui ne nous quitte pas, même quand on l'a refermé. Un livre à lire et à ressentir, qui fait partie de la sélection 2020 du Prix de la Closerie des Lilas.

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