Avis #63 : On n'y échappe pas - Boris Vian et l'OuLiPo

Le 10 mars dernier (j'étais en réalité ponctuel, ma publication sur Instagram ayant été postée le jour-même), Boris Vian aurait eu cent ans ! Boris Vian, ce génie touche-à-tout auquel aucune discipline n'a résisté. J'aime l'auteur qui a touché de nombreux·ses adolescent·es avec L'Écume des jours et choqué la France sous le pseudonyme de Vernon Sullivan ; j'aime le parolier qui a signé des chansons tantôt drôles, tantôt tristement clairvoyantes, auxquelles ont notamment donné voix des artistes tel·les que Magali Noël et Serge Reggiani ; j'aime l'interprète vocal et instrumental qu'il a été, rendant hommage au Jazz avec la plus belle des ferveurs... Je n'ai bien entendu pas tout vu, tout lu, ni tout entendu de Boris Vian, et la perspective d'avoir encore tant de choses à découvrir me ravit !

Et en parlant de découverte, à l'occasion de ce centenaire, les éditions Fayard nous régalent avec un inédit : au début des années 1950, Boris Vian avait débuté l'écriture d'un roman pour la Série noire de Gallimard, ayant eu une idée si bonne qu'il était lui-même « étonné et légèrement admiratif ». Un synopsis et quatre chapitres rédigés plus tard, le projet a été abandonné et Boris Vian n'y est jamais revenu, peut-être aussi parce qu'il est mort avant d'en avoir eu le temps, en 1959. La cohérie Boris Vian a confié à l'OuLiPo (l'Ouvroir de littérature potentielle) la tâche de poursuivre le travail de l'auteur en achevant le roman.

Bien qu'il n'ait pas été prévu pour les éditions du Scorpion, qui publiaient les textes de Vernon Sullivan, ce début de roman noir se rapprochait fortement de l'esprit des autres livres de ce faux auteur nord-américain, à tel point que les membres de l'OuLiPo ont décider de le continuer comme un Vernon Sullivan, prétendues notes du traducteur comprises.

Après les quatre premiers chapitres rendus (presque) tels qu'ils ont été écrits, l'OuLiPo prend la plume pour nous raconter le cauchemar que vit Frank Bolton, revenu de la guerre de Corée avec une main en moins et des traumatismes en plus, quand il se rend compte que les femmes qu'il a séduites par le passé meurent les unes après les autres, chacune retrouvée avec les seins et le sexe calcinés. Aidé du détective privé Narcissus Rose, Frank va tenter de comprendre ce qu'il se passe et, il l'espère, sauver l'une ou l'autre de ses conquêtes passées.

L'OuLiPo a fait preuve de beaucoup de respect pour le travail de l'auteur tout en usant de leur folle créativité pour poursuivre l'écriture de ce roman, usant de techniques oulipiennes pour stiluler la création. C'est ainsi qu'ils ont rédigé un « beau présent », type de poème inventé par Georges Perec, qui n'est écrit qu'avec les lettres de la personne à qui il est destiné, ou fait d'un chapitre un « centon », texte constitué exclusivement de phrases écrites par Boris Vian (ce chapitre a malheureusement été retravaillé pour rendre le récit cohérent, mais on peut retrouver ce centon dans les notes). L'OuLiPo a également retranscrit l'ambiance de l'époque avec des nombreuses références, souvent méconnues aujourd'hui, telles qu'aurait pu les introduire dans son roman un Vernon Sullivan.

On y retrouve également de nombreux clins d'œil à l'œuvre de Boris Vian. Je regrette juste que ces hommages n'aient pas été répertoriés en fin d'ouvrage ; je pense être passé à côté de beaucoup d'entre elles et il m'aurait plu de pouvoir m'en rendre compte. Peut-être étaient-elles tellement nombreuses qu'il aurait fallu y répertorier la quasi-totalité du texte ?

C'est en tout cas un joli cadeau que nous font les ayant-droit de Boris Vian avec cet inédit, et un bel hommage que signe l'OuLiPo, poussant le détail jusqu'à la couverture créée par la talentueuse Clémentine Mélois dans le plus pur esprit des couvertures des éditions du Scorpion. Un régal auquel on n'échappe définitivement pas !

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