Avis #64 : Le plongeur - Stéphane Larue

Huitième lecture dans le cadre du Prix du Meilleur Roman des lecteurs de Points 2020, Le Plongeur de Stéphane Larue fait partie des belles surprises de cette sélection.

Ça devient une constante dans cette première expérience en tant que juré pour un prix littéraire : si le roman proposé ne m'attire pas plus que ça, je vais forcément l'adorer ! Quand j'ai reçu ce roman, j'ai d'abord été subjugué par la beauté de la couverture, qui est la même que l'édition originale chez Le Quartanier (il aurait été dommage de passer à côté d'un si beau visuel). Mais, en y regardant de plus près et après avoir lu la quatrième de couverture, j'ai commencé à être un peu inquiet. D'abord parce que j'ai reçu le roman alors que j'étais sur le point d'achever Les enténébrés de Sarah Chiche ; je finissais enfin de rattraper mon « retard » dans mes lectures du Prix, me réjouissant d'avance de pouvoir me jeter sur ma PAL grandissante, et voilà qu'on me rajoutait 477 pages sur un sujet qui n'est à priori pas fait pour moi.

Car dans le résumé de la quatrième de couverture, j'ai repéré des termes qui m'ont quelque peu refroidi : Lovecraft, métal (le genre musical), comics, ainsi que l'idée de suivre l'entre d'un jeune homme dans le monde de l' HoReCa... autant de concepts qui m'ont fait craindre un livre bourré de références auxquelles je n'aurais pas accès. Je n'ai jamais lu Lovecraft et la littérature de genre me donne l'impression d'une terre inconnue, mes goûts musicaux sont à mille lieues de ceux des métalleux (à titre d'exemple, on trouve dans mes derniers achats musicaux la pop urbaine d'Aya Nakamura, la country new-wave d'Orville Peck, la pop acidulée de Voyou ou le rap mélancolique de Yuzmv), les univers DC et Marvel me sont totalement étrangers... C'était couru d'avance, le roman de Stéphane Larue allait me perdre. Les seuls points pouvant susciter mon intérêt étaient l'addiction du personnage principal et la nationalité de l'auteur, qui est québécois. Et mes craintes n'auraient pas pu être plus infondées.

Très vite, j'ai été embarqué sur les traces de ce jeune étudiant en graphisme dont l'addiction aux jeux de loteries vidéo qui ont poussé comme des champignons dans les débits de boisson montréalais le pousse à travailler en tant que plongeur dans le restaurant La Trattoria. En plein décrochage scolaire, le narrateur (on n'apprendra son prénom qu'à la fin, peut-être pour laisser planer le doute sur la potentielle appartenance du texte au genre de l'autofiction, piste que semble confirmer la dédicace du roman à Bébert et à Bob qu'on retrouvera en cuisine) doit de l'argent à plusieurs personnes de son entourage : son ex Marie-Lou, son ami Vincent qui l'héberge momentanément, son cousin Malik dont le soutien et la patience sont sur le point d'atteindre leurs limites et son pote Alex, pour le groupe de métal de qui il doit dessiner l'illustration du premier EP et dont il a rapidement dépensé les 2000 dollars destinés à l'impression. Au restaurant, la rudesse des services du soir et les beuveries entre collègues qui les suivent lui permettent de s'éloigner progressivement des machines de vidéo-poker, vers lesquelles ils accourt dès les premiers signes de l'angoisse.

Si la trame narrative ne semble pas poursuivre de réel enjeu (on sait dès le prologue que le narrateur va se sortir de sa dépendance, et celle-ci apparaît dans le récit en fil rouge, de manière presque anecdotique), nous donnant plutôt à lire une tranche de vie, le roman n'en reste pas moins passionnant. Les services s'enchaînent et sont décrits dans les moindres détails : à les lire, on jurerait pouvoir entendre les bruits des poêles et des casseroles, le bourdonnement incessant de la salle et les cris de Bébert dans la cuisine. J'avais presque la sensation d'eau graisseuse sur les doigts à mesure que la vaisselle s'accumulait dans la salle de plonge. Je ressortais de chaque moment de rush vidé, lessivé, abruti par la frénésie qui règne dans les coulisses de la Trattoria.

J'avais l'impression de pouvoir voir devant moi les personnages qui gravitent autour du narrateur : le bruyant mais sympathique Bébert qui domine la cuisine, Renaud dont l'ambition supplante largement le courage, la cuisinière rebelle Bonnie, la jolie Jade qui officie au bar, Malik, le cousin protecteur... Tous ces personnages prennent vie sous la plume vivante de l'auteur, dont je me suis régalé, découvrant au passage des expressions québécoises que je ne connaissais pas (« cogner des clous » étant sans doute ma préférée).

Si je ne pense pas que Le Plongeur puisse détrôner dans mon classement Les enténébrés de Sarah Chiche, j'en garderai tout de même un excellent souvenir et n'hésiterai pas à le recommander dès que l'occasion m'en sera donnée.

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