Avis #66 : Voyou - Itamar Orlev

« Et toi, tu as l'intention de rester longtemps comme ça, à tout retenir à l'intérieur ? À force, tu vas t'exploser les intestins. Pourquoi tu ne te vides pas un peu, hein ?
— Parce que je ne veux pas te ressembler. »

Neuvième et avant-dernière lecture dans le cadre du Prix du Meilleur Roman des lecteurs de Points 2020, Voyou, premier roman de l'Israélien Itamar Orlev, est un livre que j'ai beaucoup apprécié.

Quand sa femme le quitte en emmenant leur fils, Tadek décide de partir en Pologne, pays qu'il a quitté vingt-quatre ans plus tôt quand sa mère a décidé de leur offrir un avenir meilleur à lui et ses frère et sœurs en les emmenant en Israël, pour y revoir son père, Stefan. Personne dans son entourage ne comprend réellement pourquoi il souhaite à se point reprendre contact avec celui qui a fait de leur enfance un véritable enfer. Il était fréquent qu'il rentre ivre mort et qu'il déchaîne sa violence sur sa femme et ses enfants. Ou encore qu'il s'absente pendant de longues périodes, les abandonnant dans les fermes collectives ou les quartiers pauvres de la Pologne d'après-guerre avant de réapparaître sans donner la moindre explication.

Alors qu'il voyage jusqu'à la terre de ses origines, Tadek remonte le fil de ses souvenirs. Quand il retrouve son père, il peine à faire coïncider l'image dure qu'il en a gardé avec le vieillard ému qui se tient face à lui. Pendant son séjour à Varsovie, puis dans le village qui a vu naître son père, Tadek va découvrir les secrets qui ont poussé Stefan à agir comme il a agi. Les horreurs qu'il a vues et vécues à la guerre ont complètement détruit l'homme, qui n'a jamais su se départir de la violence de son passé, violence qu'il portait déjà en lui avant qu'il ne soit fait prisonnier politique et déporté dans le camp de Majdanek. Découvrant sans cesse de nouveaux éléments du passé de son père, Tadek avance tel un funambule sur le fil de la réconciliation, ne sachant pas si la dureté de sa vie est une raison suffisante pour lui pardonner.

Avec ce roman « partiellement inspiré d'une histoire vraie », Itamar Orlev nous livre un récit dur sur la difficulté d'être père quand la vie ne nous a pas épargné. Comment prendre soin de ses enfants quand on a été témoin et acteur des pires atrocités dont l'humanité a été capable ? Comment élèver un fils quand on a vécu dans la crainte de son propre père ? La filiation et les origines de la violence sont au cœur de ce texte devant lequel même le lecteur hésite à regarder le vieillard avec mépris ou tendresse. Malgré la noirceur du tableau, on voit se dessiner un peu d'espoir et il nous arrive même de rire face aux sautes d'humeur et aux saillies du vieil homme.

J'ai fortement apprécié la lecture de ce roman dont la narration nous rappelle sans cesse que nous ne sommes pas les uniques destinataires de ce que Tadek raconte. À de nombreuses reprises, des dialogues réagissent a ce qui est dit, soulignant ainsi le fait que le narrateur, écrivain oisif, aime autant raconter des histoires (différents personnages vont lui demander de raconter tel ou tel souvenir au fil du livre) qu'à les écouter.

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