Avis #79 : Mes années hétéro - Hugues Barthe

Mes années hétéro, c'est le récit de Rémi, personnage fictif que l'auteur a construit à partir de témoignages d'hommes gays nés dans les années 1940 et ayant dû cacher leur homosexualité pendant des années, qui n'a commencé à vivre pleinement son homosexualité qu'une fois arrivé dans la quarantaine.

Le récit s'ouvre sur l'annonce de l'adoption de la loi Taubira pour le mariage pour tou·tes en avril 2013. Rémi et son compagnon Pascal sont réunis avec l'ex-femme de Rémi, ses filles et ses petits-fils pour célébrer l'événement. Cependant, Rémi ne parvient pas à se sentir totalement concerné par la bonne nouvelle et se perd dans ses souvenirs.

Peu de temps avant, un journaliste lui a demandé de témoigner sur la vie des homosexuels avant la dépénalisation de l'homosexualité en 1982. Rémi est donc remonté à son enfance pour reprendre le fil de sa construction. Hugues Barthe donne vie à un personnage touchant qui, je n'en doute pas, ressemble à de nombreuses personnes. Contraint de cacher sa sexualité, Rémi a refoulé ses désirs, s'est marié, à fondé une famille. Le·la lecteur·rice découvre sans voyeurisme les premiers doutes qui assaillent l'adolescent quand il se découvre homosexuel dans un monde où il ne peut être accepté.

Ce qui fonctionne particulièrement bien dans ce roman graphique, c'est la contextualisation du problème : avec des mots et des illustrations, Hugues Barthe dépeint parfaitement ce par quoi passe une majorité des homosexuels au moment où ils prennent conscience de leur différence. Ainsi, Rémi qui se remémore son adolescence parle d'un garçon qu'il supposait hétéro en ces termes : « il représentait une planète inaccessible, celle des hommes qui se tapent dans le dos ». Ce sentiment d'inadéquation résumé en une phrase simple et évocatrice, je pense sincèrement que nous sommes plusieurs (oserais-je dire beaucoup ?) à l'avoir expérimenté.

Le contexte nous permet également de prendre conscience de l'influence les stéréotypes de genre peuvent avoir sur nous : Rémi devra adapter son comportement s'il ne veut pas être discrédité en tant qu'homme, chaque geste devra être maîtrisé pour répondre aux attentes de son entourage.

Enfin, une scène de la bande dessinée dans laquelle Rémi assiste au fou rire moqueur de ses parents quand ils entendent la chanson On dit qu'il en est de Fernandel, montre comment l'humour peut blesser les communautés et permettrait peut-être à celles et ceux qui se plaignent du fait « qu'on ne peut plus rire de rien », de prendre conscience des raisons qui nous poussent à ne pas accepter l'humour quand il ne rit plus « avec » mais qu'il rit « de ».

En définitive, je ne peux que vous recommander chaudement cette lecture qui, en plus d'être porteuse d'émotions, me semble nécessaire.

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