Avis #97 : Personne - Sam Pink

Demandez à Sam Pink de se présenter et il vous dira, en parlant de ses écrits : « vous allez probablement soit les aimer beaucoup, soit être en colère à l'idée qu'ils existent »*. Et quand je vois les deux critiques postées au sujet de Personne, que les toutes jeunes éditions Premier degré ont choisi pour être l'un de leurs deux premiers textes, je ne peux que constater qu'il dit vrai.

« On se demande quelle mouche a piquée [sic.] l'éditeur américain et le repreneur français pour publier pareille daube », termine la première critique, dont l'auteur octroie malgré tout deux étoiles sur cinq au roman. La deuxième critique est plus sévère dans sa cotation avec une moitié d'étoile seulement mais les mots sont plus cléments, notant seulement une absence de « talent d'écriture » chez Sam Pink qui empêche d'entrer en empathie avec le personnage principal qui « ne va pas bien ».

Mais du coup, qui pour vraiment aimer ce roman et donner raison à la manière dont Sam Pink présente son œuvre ? Moi ! J'en profite au passage pour remercier l'éditeur et Babelio, parce que c'est grâce à une masse critique que j'ai rencontré Personne.

Il faudrait pour bien faire vous dire un mot de la maison d'édition qui nous fait l'honneur ou l'affront, suivant ce que vous pensez de Personne, de publier un tel texte. Les éditions Premier degré ont vu le jour grâce à un financement participatif destiné à lancer cette petite structure spécialisée dans la littérature américaine alternative. Vous connaissez mon goût pour les campagnes de financement participatif et comprendrez aisément que je suis profondément triste de ne pas être tombé sur celle des éditions Premier degré. Mais ce qui nous intéresse ici n'est pas mon désir contrarié de jouer aux mécènes 2.0 mais plutôt la ligne éditoriale de la maison d'édition qui « se tourne en premier lieu vers les littératures de niche à tout petit potentiel commercial, marquées par le refus de l’ironie comme système de défense et la répudiation d’une certaine forme de "cool" hors d’âge pour embrasser le sanglot long des violons de l’automne qu’est la vie de jeune adulte au sortir des années 2000 ».**

C'est exactement de ça qu'il s'agit dans Personne. Si, comme moi, vous êtes fasciné·es par le vide qui compose nos existences absurdes (qu'il vous terrifie autant qu'il m'angoisse ou non importe peu), vous pourrez sans doute trouver votre compte dans l'enchaînement de phrases apparemment peu ou mal travaillées de Sam Pink. (Et j'insiste sur l'adverbe apparemment, que j'étais tenté d'écrire en lettres capitales pour vous crier qu'il s'agit bien là d'un jeu d'apparences puisqu'elles sont volontairement brutes, ces phrases, débarrassées de toute velléité d'apparat au profit d'un dépouillement nécessaire pour dire avec tout le sérieux du monde que rien dans notre monde n'est vraiment sérieux.)

Si, par contre, vous n'êtes nullement impressionné·e par l'absence de logique de notre société occidentale, ou que vous avez trouvé du sens à vos vies, ou que vous estimez que la littérature doit forcément nous mener quelque part, alors ce livre n'est sans doute pas pour vous.

« Je traîne dans Chicago et je me sens comme une merde. » C'est par ces mots que le narrateur nous invite à suivre le fil de ses pensées. Le ton est donné. Il enchaîne alors les phrases comme elles lui viennent, s'imposent à lui. Les stimuli suscitent chez lui réflexions et imaginations qu'il nous rend sans s'embarrasser de leur donner un sens. Le style, qui ressemble à une absence de style comme la vie du narrateur n'est pas loin de ressembler à une absence de vie, est relativement déconcertant au début. Mais très vite, on se laisse entraîner par le rythme que les phrases créent et portent en elles. Et si ce n'est pas le cas, je suis au regret de vous dire que vous serez sans doute de celleux qui estiment que l'écriture de Sam Pink ne devrait pas exister.

Les personnages sont tous, à l'image du narrateur, des êtres désabusés et s'expriment dans des dialogues dénués de toute expression ; les points d'interrogation se font rares et les questions devenues affirmatives semblent ne jamais attendre de réponse. Leurs conversations à priori claquées au sol m'ont fait penser au cinéma de Quentin Dupieux et, comme dans les films de Dupieux, on peut découvrir dans Personne une richesse insoupçonnée. Dans ces lignes, il y a de l'anxiété, des pensées obsessionnelles, de l'imprévu, du banal, du bizarre, du superficiel, de la profondeur et de la sincérité.

Mais du coup, de celleux qui détestent l'écriture de Sam Pink et de celleux qui l'aiment, qui a raison ? Tout le monde, sans doute. Je pense que l'idéal pour savoir si vous aimerez Sam Pink ou non, c'est de le lire. Pour ma part, je ne compte pas m'arrêter là dans la découverte du catalogue des éditions Premier degré.

Pour que vous fassiez une première impression de Personne, voici quelques morceaux choisis :

« L'épicerie dans laquelle j'ai candidaté il y a un certain temps m'a demandé de revenir pour un deuxième entretien.
Pour emballer des courses.
Ils ont dit qu'il y aurait peut-être un troisième entretien aussi.
Pour emballer des courses. »

« Une autre chose que je fais de plus en plus c'est m'asseoir dans la ligne bleue du métro et voyager une heure ou deux en ne cherchant pas de travail.
C'est agréable.
Je m'assure de regarder mes pieds pour ne pas croiser de travail par mégarde.
C'est sympa de juste écouter le bruit du métro sur les rails.
C'est sympa. »

« Je ne suis pas sûr qu'il faille juger de moi-même en me basant sur ce que j'accepte ou non de subir mais je sais que je déteste toujours l'endroit où je suis et qu'après ça je regarde vers où j'étais avec tristesse parce que c'est terminé.
(Ça veut dire que je n'ai aucune valeur et que tout est de ma faute.)
Ha ha ! »

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