Mon corps, Clémence Michallon et moi



10 octobre 2020
Poids : 101 kg 700
Taux de graisse corporelle : trop élevé, probablement
Le taux de graisse corporelle d'un corps comme le mien se situe habituellement entre 18 et 24%.*

Il y a quelques semaines, je vous ai dit à quel point le premier roman de Clémence Michallon, La dernière fois que j'ai cru mourir c'était il y a longtemps, paru chez les très belles éditions iXe. Je précisais également que je voulais vous parler plus précisément du rapport au corps, question centrale du roman.

L'idée est de vous dire comment cette thématique a résonné en moi. Comment, alors que les corps dont il est question sont plutôt les corps féminins, l'histoire de Véronica est un peu devenue mienne. Je suis du genre à penser que, quand la rencontre entre un·e lecteur·rice et un livre est réussie, celui-ci n'appartient plus totalement à son auteur·rice. Et j'ai l'impression que La dernière fois que j'ai cru mourir... est un peu devenu mien. Par ces lignes, j'espère vous faire comprendre pourquoi j'ai tant envie de défendre ce roman.

Il va donc être question de moi, essentiellement. De mon rapport à mon corps. De ces allers-retours constants entre estime et dégoût de soi. Le 10 octobre, c'est la Journée mondiale de la santé mentale et ça me semble être le jour idéal pour le faire.

Dans le roman de Clémence Michallon, le parcours de Véronica l'a amenée à vouloir avoir le contrôle absolu de son corps. Le parfaire grâce au culturisme. Le maîtriser pour le faire taire. Dans le roman de Clémence Michallon, le corps de Camélia, enceinte de jumeaux, impose sa loi et la force à s'arrêter de sortir du lit. Dans ma vie, mon corps est un étranger que je ne parviens pas à comprendre.

Depuis l'adolescence, il m'embarrasse ce corps. Je ne sais jamais trop quoi en faire, comment le déplacer pour ne pas attirer les regards, comment le camoufler pour ne pas risquer les moqueries (qui, je dois bien l'avouer maintenant, ne sont jamais venues, si ce n'est de moi-même).

Dans le roman de Clémence Michallon, Véronica met la faim de côté comme elle enfouit ses sentiments au plus profond d'elle-même en espérant sans doute être ainsi hors de leur portée. Dans ma vie, les émotions difficiles à gérer creusent un trou au fond de moi, un vide abyssal qui se répand de ma poitrine au reste du corps. « Il faut le remplir ce vide. C'est une question de survie, pas une chose à laquelle on réfléchit, tout comme on ne se dit pas : "Tiens, j'aurais bien besoin d'un peu d'oxygène donc je vais respirer." » Je suis du genre à manger mes émotions pour les faire taire. Et c'est alors mon corps qui trinque, qui s'épaissit jusqu'à faire craquer la peau. Je ne pourrais donc pas être plus opposé dans mon rapport au corps qu'à Véronica.

Et pourtant je l'ai comprise. Et pourtant, je la vois aujourd'hui comme une sœur. Une sœur d'armes, peut-être une sœur d'âme.

Dans le roman de Clémence Michallon, il y a le regard que les gens posent sur le corps de l'autre. Et dans ce regard, il y a souvent quelque chose de l'ordre du jugement, de l'injonction. Dans ma vie, il y a aussi le regard que les gens posent sur le corps de l'autre. Et dans ce regard, il y a souvent quelque chose de l'ordre du jugement, de l'injonction.

Et dans le roman de Clémence Michallon, il y a Nico. Nico qui habite son corps avec grâce. « Le genre de beauté devant laquelle on ne sait plus quoi faire de soi. » Nico qui a sans doute dû parcourir un long chemin pour en arriver à cette aisance, trouvée notamment par son expérience de Drag queen. Dans ma vie, il y a maintenant Nico, cet être fait de mots qui m'a séduit dans les pages de La dernière fois que j'ai cru mourir... Nico qui m'a touché par sa détermination et sa sagesse.

Il y a des jours où il ne me gêne pas tant que ça, ce corps. Il y a des jours où je peux le regarder en face, parcourir ses courbes, suivre le tracé de ses vergetures. Il y a des jours où je pense qu'on pourrait devenir ami. Dans ces moments-là, maintenant, il m'arrive de repenser à Nico et à ses mots : « Je sais ce que c'est de ne pas se sentir chez soi, à l'intérieur de soi. Mais ce ne sera pas toujours comme ça. Tu verras. (...) Un jour, toi aussi tu sauras. Tu verras comme le corps peut être une fête. »

*les chapitres du roman commencent de cette manière, les mesures ont été adaptées à mon cas. Les citations sont extraites du roman.

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