Avis #13 : Renversante - Florence Hinckel


En introduisant mon article sur le très chouette roman pour adolescents de Pessan et Solminihac, je vous précisais que j’aime la littérature jeunesse quand elle ose prendre la voie de l’engagement. Une fois de plus, les éditions L’école des loisirs ne me déçoivent pas avec la publication de Renversante, roman pour la jeunesse de Florence Hinckel, joliment illustré par Clothilde Delacroix.

Renversante est raconté par Léa, une jeune fille qui grandit dans une France qui ressemble en tout point à celle que nous connaissons de nos jours à une exception près : les femmes dominent. Les rues et les institutions publiques sont nommées en hommage à des femmes célèbres, la grammaire stipule que le féminin l’emporte sur le masculin, les hommes sont relégués au mieux au rang de père au foyer, au pire à celui d’objet décoratif pour faire vendre dans les publicités. Léa prend conscience progressivement des inégalités sexistes qui l'entourent après que son père, antisexiste convaincu et militant, lui a demandé de réfléchir à la place accordée aux filles et aux garçons dans la société, lui assurant que cela leur permettrait, à elle et son frère jumeau Tom, de mieux vivre. La jeune fille accepte, persuadée qu’elle ne découvrira rien de renversant. Mais peut-elle en être si sûre ?

Je ne sais pas trop comment parler de ce livre sans débuter par des platitudes du type « j’ai adoré » ou « ce livre est génial ». Je ne vois pas comment faire d’autre, tout simplement parce que j’ai adoré Renversante qui est, aucun doute possible, un livre génial. Le fait que Florence Hinckel garde toutes les caractéristiques de notre société actuelle en intervertissant les hommes et les femmes donne toute sa force au roman. D’abord parce que ça va forcément parler aux enfants de pouvoir transposer si facilement ce qu’ils lisent à leur réalité, ensuite parce que ça montre très clairement le ridicule de la situation, de façon plus limpide que si l’autrice s’était acharnée à inventer un tout nouvel univers.

Prenons quelques instants pour nous attarder sur un terme que j’ai employé dans la phrase précédente : « autrice ». J’ai l’habitude, quand j’emploie ce mot, de voir les sourcils se froncer, ou d’entendre que ce mot n’a pas lieu d’être, qu’il est moche, etc. Florence Hinckel, qui déclare dans la dédicace mise en exergue de son roman avoir été inspirée par les travaux de la linguiste Éliane Viennot, donne l’occasion à Léa de s’interroger sur la « masculinisation » des titres et professions. Et ce sont exactement les mêmes arguments qui ressortent pour discréditer le pendant masculin des noms exclusivement féminins : « Maintenant, on essaie de réhabiliter ces mots, même si, entre nous, ils sont vraiment moches et ridicules. Comme poète, par exemple, ça fait pouet pouet ! ». Plus tard, quand Tom emploie le mot « professeur », masculin de « professeuse », Léa avoue que, même si ça lui faisait bizarre au début, elle a fini par s’y habituer. La preuve que l’on pourrait nous aussi nous habituer à une modification des règles orthographiques et/ou grammaticales pour rendre la langue française un peu plus égalitaire ?

Ce que j’aime particulièrement dans Renversante, c’est que tous les aspects de la lutte féministe y sont abordés : la langue, la place accordée aux hommes et aux femmes dans nos représentations culturelles, l’importance donnée à la santé sexuelle des unes et des autres, la considération apportée aux succès des personnes en fonction de leur genre, sans oublier la masculinité toxique, ce revers de la médaille sexiste qui blesse autant les filles que les garçons. Mention spéciale au sixième chapitre dans lequel il est question de la puberté et où les règles sont célébrées au lieu d’être perçues comme quelque chose de sale, qu’il faut cacher et dont il faut avoir honte.

Il m’est difficile de me retenir de parler de chaque passage du bouquin tant il m’a enthousiasmé. Je pense d’ailleurs que, pour rendre hommage à ce roman, il serait bien plus efficace d’en citer des passages entiers (voire de citer le texte dans son intégralité) que de rédiger un avis dont la lecture ne saurait rendre compte totalement de l’intérêt que peut présenter ce livre. Si j’étais moi-même un homme professeuse des écoles, je me hâterais de le faire lire à mes élèves pour lancer une réflexion sur le sexisme sociétal en classe.

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