Avis #12 : Les étrangers - Eric Pessan et Olivier de Solminihac
J’aime particulièrement la littérature jeunesse quand elle
devient un lieu d’exploration littéraire où les auteurs osent aborder des
sujets difficiles. Ceux qui écrivent offrent alors leurs mots aux jeunes
lecteurs afin de permettre à ceux-ci de (re)penser le monde. C’est justement ce
qu’ont fait Eric Pessan et Olivier de Solminihac quand ils ont décidé d’unir
leurs plumes pour dépeindre un aspect de la crise migratoire duquel on a
généralement tendance à détourner – volontairement ou non – le regard. Un livre
qui, lorsqu’il a été publié il y a une
dizaine de mois chez L’école des loisirs,
s’inscrivait dans une actualité qui durait depuis trop longtemps déjà et qui
n’a malheureusement pas cessé d’être brûlante.
Dans Les étrangers,
Basile, un jeune adolescent de quinze ans, décide de flâner un peu avant de
rentrer chez lui afin de prolonger la dernière journée de cours avant les
vacances d’été : c’est que son quotidien n’a plus grand-chose de
réjouissant depuis que son père fait des crises au cours desquelles il ne
rentre pas après sa journée de travail. La situation échappe à Basile, qui
décide donc de souffler en prenant un itinéraire bis pour regagner le cocon familial qui n’a plus du cocon que le
nom. Ses pas le mènent dans une ancienne gare désaffectée, où il retrouve
Gaëtan, un jeune garçon qu’il n’avait pas revu depuis ses primaires. Sans trop
savoir pourquoi, Basile décide de suivre Gaëtan et croise le chemin de quatre
jeunes réfugiés, qu’il va accompagner vers une destination inconnue jusqu’à ce
que l’un d’entre eux disparaisse aussi brutalement que mystérieusement.
Commence alors pour Basile une nuit interminable, une nuit qui « détraque tout, y compris l’avancée des
heures », une nuit qui va changer à jamais sa vie.
C’est au cours d’une visite de classe à la bibliothèque dans
laquelle je travaille que ce roman m’a tapé dans l’œil : il était exposé
en évidence parmi les nouveautés de la section jeunesse et le professeur qui
accompagnait les élèves m’a fait part de sa satisfaction de le retrouver dans nos
rayons. Plus tard, profitant d’une accalmie pendant ma permanence au comptoir
de prêt, j’ai poussé la curiosité jusqu’à ouvrir le livre pour en découvrir les
premiers mots. J’ai directement été happé par le style dans lequel sont
délivrées les pensées de Basile. Des phrases qui ne se terminent pas toujours
comme leur début le laisse présager, des mots qui s’offrent dans une poésie
simple mais percutante pour laisser affleurer des sensations et des
émotions : j’étais conquis dès les premières pages.
La suite ne m’a pas déçu : Pessan et Solminihac font se
succéder de courts chapitres pour nous livrer dans une langue précise,
accrocheuse sans être racoleuse, le témoignage d’un jeune garçon qui découvre
sans toujours la comprendre la douloureuse expérience que partagent des
personnes de tous horizons et de toutes les tranches d’âge qui fuient l’enfer
de la guerre dans l’espoir de trouver un peu de soulagement. Bien que Basile
soit déjà au courant de l’existence des réfugiés et de leurs problèmes, bien qu’il
sache « les camps, (…) les trafics, (…) les jeunes gens qui s'accrochent sous des camions et en meurent
parfois, (…) les guerres au loin »,
il va prendre conscience au cours de la nuit que « derrière les statistiques il y a des hommes, des centaines de milliers
d’histoires singulières, des combats, des luttes, des blessures et des
victoires ». L’occasion pour lui de s’interroger sur ce qu’est le
courage et comment il s’impose ou non à nous, l’occasion aussi de découvrir
combien l’expérience et la vie de chacun peuvent être différentes.
Les étrangers
permet aux adolescents (mais aussi aux adultes) de s’interroger sur leur propre
façon de percevoir la crise migratoire dont on entend sans cesse parler sans forcément
en mesurer l’ampleur et en appréhender les enjeux. La vraie intelligence de ce
texte est d’offrir cette possibilité sans avoir recours à un discours
culpabilisant, sans ton moralisateur, mais tout simplement à travers le regard
étonné d’un jeune témoin involontaire avec lequel on ne peut qu’entrer en
empathie. Un roman nécessaire.
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