Avis #1 : Ma fugue chez moi - Coline Pierré

Ce (très) court roman paru dans la collection DoAdo des éditions Rouergue est ma deuxième lecture du Cold Winter Challenge. La raison pour laquelle j’en parle sur le blog avant ma première lecture (à savoir Journal intime (et ignoble) du Père Noël de Laurent Gaulet) vient du fait que je ne voulais pas commencer mes avis par un article négatif. Vous aurez donc compris que Ma fugue chez moi a su me plaire et je vous explique pourquoi.


Coline Pierré laisse la narration à Anouk, jeune fille de 14 ans qui, selon ses propres mots, se situe « dans la moyenne du mal-être d’une adolescente » et qui décide, quelques jours avant Noël, de fuguer. Mais pour fuir quoi, exactement ? Plusieurs choses à vrai dire :  une solitude pesante dans la cour du collège, accentuée par le changement de comportement de Marina, sa seule amie jusque-là, qui, sans doute pour mieux être acceptée des autres, mène une véritable croisade contre l’adolescente ; l’absence de sa mère, climatologue en mission sur l’île norvégienne du Spitzberg, qui ne contacte sa famille que par obligation et par le biais d’un bref appel et de quelques cartes postales ; le manque de communication avec son père qui, malgré l’amour qu’il porte pour ses deux filles, semble ne pas être à-même de trouver les mots susceptibles de les aider à surmonter les épreuves de l’adolescence. Anouk décide donc de s’en aller. Le problème, c’est qu’elle manque un peu de courage : elle comprend très vite qu’il lui sera difficile de rester dehors et décide de se cacher dans son grenier.

C’est donc une fugue un peu particulière que nous dépeint avec des mots justes Coline Pierré. Et c’est dans cette originalité que réside tout l’intérêt du roman : la fugueuse, par son choix de rester chez elle est confrontée aux réactions de son entourage. Je crois ne pas me tromper en disant qu’on s’est quasiment tous demandé, à un moment ou à un autre de notre vie, comment réagiraient nos proches en cas de disparition de notre part (« Combien de jours et de jours mettront ils à me trouver ? / Et combien seront-ils à me pleurer ? / Et vous, cette question, vous l'êtes-vous posée ? » chantent Brigitte, en évoquant la dernière et la plus grave des fugues : le suicide). Entendre la détresse de son père et de sa sœur fait naître en Anouk un sentiment de culpabilité qui lui permet de s’interroger sur elle-même et sur ses relations aux autres. J’ai pris énormément de plaisir à accompagner Anouk dans sa fugue statique. Sans que les deux œuvres soient comparables, je n’ai pu m’empêcher de penser à Chaos Calme de Sandro Veronesi, un de mes romans préférés dans lequel le personnage principal, à l’instar de la jeune adolescente, trouve dans la mise entre parenthèses de sa vie et dans l’immobilité un refuge nécessaire face à l’adversité. Ne serait-ce que pour m’avoir rappelé cette lecture, un grand merci à Coline Pierré !
En ce qui concerne le style, comme je l'ai dit plus haut, on est dans quelque chose de juste. On ne se dit pas à chaque phrase que c'est rudement bien écrit, ce n'est pas de l'orfèvrerie, mais ça reste très agréable à lire. Les bons mots au bon moment, une écriture simple sans être simpliste qui confère au texte une grande fluidité. Je suis toujours content de me retrouver face à un texte pour la jeunesse qui n'infantilise pas le lecteur en ne laissant aucune place au sous-entendu. Par exemple, au moment où il constate la disparition de sa fille, le père d'Anouk appelle la police : dieu merci, Coline Pierré ne nous fait pas l'affront d'obliger son personnage à répéter toutes les questions qu'on lui pose.. Non, ses réponses nous donnent les éléments nécessaires pour reconstruire la conversation par nous-même. Je me sens un peu bête de souligner quelque chose d'aussi anecdotique mais, malheureusement, dans la littérature jeunesse, il arrive trop souvent que l'auteur semble sous-estimer son lectorat et juge nécessaire de lui prémâcher tout le travail.

Bien que j’aie apprécié Ma fugue chez moi, certaines réserves m’empêchent de le considérer comme un coup de cœur.
Malheureusement, le roman ne s’étalant que sur 83 pages au format numérique (128 au format papier), le cheminement intérieur d’Anouk n’est abordé que d’une manière superficielle. Par ailleurs, je suis légèrement mal à l’aise avec le fait que la fugue soit présentée sous un jour aussi positif. Bien sûr, Anouk se rend compte de l’impact que sa disparition peut avoir sur sa famille (« Pourquoi les décisions qui nous font du bien rendent-elles les autres tristes ? », s’interroge-t-elle à un moment donné), mais cette fuite a en réalité de nombreuses répercussions positives qui tendent à faire oublier la douleur qu'elle a causée.

Je pense en fait que cette lecture est un bon point de départ pour réfléchir à des thématiques qui préoccupent les adolescents comme le harcèlement scolaire et la fuite mais qu’elle doit être remise en perspective (pourquoi pas dans le cadre scolaire, justement ?).

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