Avis #94 : Biwak - Alban Cambe

« Le faisceau de lumière s'éteint subitement et seuls des pas, des centaines, des milliers de pas, résonnent dans la forêt endormie. Le sol tremble de plus en plus fort sous les fesses de Pawel, blotti contre son escarpement rocheux, trahi par les flammes. Cette cavalcade invisible se transmet tel un séisme dans l'ensemble de ses os, le glaçant sur place. Les coassements monstrueux reprennent. Pawel sait que son cœur bat suffisamment fort pour être entendu et, entre ses larmes, il voit le feu se fendre, tel la mer devant Moïse.

Il fait face à son monstre. »

Lecture imprévue de cette seconde édition du #BelgiqueTerreLittéraire, Biwak (bivouac) d'Alban Cambe est LA bonne surprise du challenge. Au cours d'une discussion, Laurence, l'éditrice derrière la maison belge Partis Pour, m'a proposé de découvrir ce premier roman intrigant d'un auteur breton qui a fait du bushcraft sa spécialité (il a d'ailleurs une chaîne YouTube et un podcast).

Biwak, c'est un week-end dans les forêt polonaises qui tourne mal. C'est trois amis qui bivouaquent en pleine nature et qui, alors qu'ils font du bateau en pleine nuit après avoir descendu une grosse quantité de vodka, percutent quelque chose. C'est une sortie entre potes qui dégénère quand ils trouvent un corps coupé en deux à l'endroit où l'impact a eu lieu et que des événements étranges semblent accompagner cette découverte. Biwak, c'est aussi une expérience de lecture forte.

Ça ressemble un peu à un film d'horreur, Biwak. Tous les ingrédients sont là : de jeunes gens insouciants, un lieu éloigné de tout qui se révèle hostile, un évènement qui fait tout basculer. Il y a alors une course à la survie. Échapper à la menace, d'abord. Courir sans perdre de temps, sans se demander si ce qui se passe est vrai, ou si les perceptions troublées par l'alcool nous jouent des tours. Retrouver son chemin ensuite, composer avec la nature pour ne pas mourir de s'être perdu dans une forêt qu'on n'a pas comprise.

À mesure que le roman avance, que les souvenirs des personnages se mêlent à leur errance en forêt et qu'on découvre le passé proche du militaire Przemek, Alban Cambe promène son lectorat comme il le guiderait en forêt. C'est que l'auteur maîtrise sa forêt comme il maîtrise la survie, il s'amuse à nous perdre au détour d'une supposition, il joue sur les codes du roman fantastique à merveille pour nous donner à voir la nature humaine. Face à la nature sauvage, les masques tombent.

En moins de 150 pages, Alban Cambe m'a coupé le souffle. La tension monte alors que les pages se tournent. On sent que chaque mot compte, chaque élément peut nous aider à démêler le nœud de l'action, mais on ne se rend même pas compte que, à chaque fois qu'on pense arriver à le dénouer, ce nœud se resserre. C'est toujours risqué, un premier roman, mais c'est ici un coup de maître de la part d'Alban Cambe. La progression intérieure des personnages est admirablement construite : loin de tout manichéisme, ils se révèlent plein de nuances, si bien qu'on ne sait plus si on les soutient totalement dans leur tentative de s'en sortir. Parce qu'on ne sait plus s'ils le méritent réellement, ou même s'ils en ont envie.

Je suis donc totalement emballé par ce roman et par cette jeune maison d'édition (l'objet livre en lui-même, par son petit format et le grain de sa couverture, est d'une jolie élégance). Soutenons l'édition indépendante et la littérature de qualité.

Merci une fois encore aux éditions Partis Pour pour cette découverte.

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