Avis #14 : Les Ombres d'Esver - Katia Lanero Zamora
Même si mes premières lectures, celles qui m'ont conduit à
tant aimer la littérature et qui ont fait que je me rêvais écrivain dans mon
enfance, relevaient des littératures de genre, je ne lis aujourd’hui que très
rarement des romans fantastiques, de science-fiction, ou de fantasy. J'avoue ne
pas être attiré plus que ça par ces littératures de l’imaginaire, sans vraiment
savoir pourquoi. C'est sans doute l'une des raisons qui font que, quand je me
décide à lire un bon roman de genre, je me laisse facilement emporter, sans
savoir si le récit est original ou s'il s'inscrit au contraire dans un univers
déjà surexploité par les auteur.rice.s du genre. Ce doute vient probablement du
fait que les œuvres qui relèvent des littératures de genre répondent à toute
une série de codes génériques, lesquels donnent aux non-initiés l'impression
que toutes les œuvres d'un même genre se ressemblent tout en offrant aux autres un cadre familier
pour suivre les explorations des auteur.rice.s qui décident de composer avec
les codes en question ou de s'en affranchir.
Dans Les Ombres
d'Esver, j'ai l'impression que Katia Lanero Zamora a pris le parti de
respecter les attentes des lecteurs de fantasy comme quelqu'un répondant à un
cahier des charges bien balisé.
On y retrouve en effet tout ce qui fait le genre, à commencer
par le personnage principal dont le destin est sur le point de changer.
Amaryllis a seize ans et vit seule avec sa mère Gersande dans le domaine
d'Esver depuis un soir funeste où un événement terrible s'est produit. La jeune
fille passe ses journées à étudier la botanique en vue de passer l'examen
d'entrée d'une prestigieuse école parisienne et ainsi réaliser le rêve de
Gersande. Ses nuits, elle les passe dans un sommeil forcé par le médicament que
lui administre sa mère tous les soirs avant que ne sonne le carillon de la
grande horloge à 20h44. Sommeil qui la terrorise en même temps qu'il semble
l'empêcher de se laisser sombrer dans un monde peuplé d'ombres qui paraissent
guetter chacun de ses faits et gestes. Amaryllis a tout du personnage de
fantasy idéal : elle est vouée à une vie qui ne lui convient pas, victime d'un
destin face auquel elle pense ne pas avoir les ressources de se dresser.
Pourtant, il faudra bien qu'Amaryllis prenne les rênes de
son destin, et sans doute plus rapidement qu'elle ne le croit. Un jour, elle trouve
dans les poches d'un vêtement de Gersande une lettre écrite par son père, leur
notifiant que le domaine est sur le point d'être vendu et que le nouveau
propriétaire épousera Amaryllis. Ne pouvant se résoudre à choisir entre un
mariage arrangé par son père et une carrière imposée par sa mère, Amaryllis
tente de s'enfuir. Alors qu'elle a à peine posé un pied dans le parc entourant
le domaine, la jeune fille se fait attaquer par l'ombre qui la surveille depuis
des années. Armée d'un pic d'ivoire dont elle se sert pour rassembler ses
cheveux en un chignon, elle tente d'échapper à la créature avant d'arriver aux
limites d’Esver, où elle s'aperçoit que de nombreux autres monstres tentent de
s'introduire dans le domaine. Amaryllis est finalement sauvée par
l'intervention d'un bucentaure, d'un jeune archer aux jambes de métal et d'une
vouivre ; le bestiaire fantastique requis par le genre. Féroce, le bucentaure,
et Rouage, le jeune archer, ramènent la jeune fille dont le pic d'ivoire s'est
changé en épée aux portes du manoir et l'informent qu'Esver est un lieu où se
chevauchent plusieurs univers parallèles, qu’elle est la capitaine de l’Armée
de lumière et qu'elle ne pourra pas quitter le domaine tant que le rubis de la
vouivre restera introuvable. Amaryllis, qui ne souhaite pas rester bloquée à
Esver pour le restant de ses jours, accepte d'aider les deux guerriers à
retrouver la pierre précieuse.
Cette quête, un autre code générique de la fantasy, sera
l'occasion pour la jeune fille d'entamer un parcours initiatique au cours
duquel elle pourra s'émanciper et se réconcilier avec son passé.
En plus de combler parfaitement les attentes du public en
respectant les codes génériques de la fantasy, Katia Lanero Zamora a construit un
texte riche et profond, où son style soigné sert d'écrin à une intrigue
mystérieuse brouillant sans cesse les pistes entre rêve et réalité (ce n’est
évidemment pas anodin si Esver est l’anagramme de « rêves »). Une
question reste en suspens pendant la quasi-totalité du roman : Amaryllis
fait-elle face à un terrible danger ou est-ce la folie qui lui glisse ces idées
en tête ?
La grande force du roman réside selon moi dans la profondeur
psychologique des deux femmes autour de qui l'histoire se cristallise. Je
trouve le personnage de Gersande particulièrement bien construit et je suis
personnellement rentré en empathie avec elle, jusqu'à la trouver touchante et
admirable. Les deux personnages féminins offrent également l'occasion à
l'autrice d'interroger brillamment la place accordée aux femmes dans la société
du vingtième siècle naissant, ainsi que dans les sphères scientifiques. Une
perspective féministe insérée dans le récit pour donner encore plus de corps
aux personnages qui n'est évidemment pas pour me déplaire.
Katia Lanero Zamora signe avec ses Ombres d'Esver un roman captivant et dense qui devrait, je pense,
ravir à la fois les amateur.rice.s de la fantasy et les autres qui, comme moi,
ne plongent dans le genre qu'occasionnellement.
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