Avis #15 : Des ailes au loin - Jadd Hilal


Souvent quand je cherche un livre à lire, je souhaite trouver une histoire susceptible de me bousculer, un roman coup de poing. En fait, il me suffira désormais de chercher un livre à la hauteur de Des ailes au loin, premier roman de Jadd Hilal ayant remporté le 12 février dernier le Grand Prix du Roman métis 2018 et le Prix du Roman métis des lycéens. Prix amplement mérités et qui semblent convenir parfaitement à cet auteur d’origine libano-palestinienne, qui s’est installé à Lyon après avoir vécu en Écosse et en Suisse.

On n’est qu’au début de l’année, mais je sais déjà que ce premier roman sera l’une de mes lectures les plus mémorables de 2019. Si j’en suis aussi certain, c’est parce que j’ai ressenti dès les premières lignes de ce roman un élan d’enthousiasme que je n’avais plus connu depuis Grand frère de Mahir Guven. Je n’ai qu’un seul regret : ne pas l’avoir lu à sa sortie et avoir de ce fait différé mon coup de cœur de quasiment une année.

J’ai donc eu un véritable coup de foudre littéraire pour ce roman choral dans lequel s’expriment tour à tour quatre femmes liées par le sang et qui, de mère en fille, se transmettent, souvent malgré elles, le poids des responsabilités et de l’exil. C’est précisément la structure du roman, sa quadruple narration qui m’a rappelé le très touchant Lignes de faille de Nancy Huston, qui m’a attiré vers lui. Il y a d’abord Naïma, née en Palestine en 1930 et mariée à un jeune homme d’une vingtaine d’années quand elle a douze ans. Docile et peu courageuse, Naïma ne sait que sourire face aux situations qui lui font  peur. Il y a ensuite Ema, sa fille aînée, tiraillée entre sa famille et ses envies de rébellion tandis que la guerre civile fait rage au Liban. Dara, mature dès son plus jeune âge, qui n’aspire qu’à retrouver sa terre natale. Enfin, Lila, jeune enfant née à la fin des années nonante, qui voudrait déjà être adulte pour qu’on l’écoute enfin. Quatre voix, quatre destins. Quatre récits dans lesquels alternent les moments de peur, de peine et de joie avec, en trame de fond, un Moyen-Orient en crise. Ces femmes racontent la douleur de voir leur monde trembler, de devoir tout quitter pour trouver la sérénité.

On trouve également dans chacun de leur récit beaucoup d’amour. L’amour qui lie ces mères et ces filles, celui qui poussera dans chaque génération les premières à faire des sacrifices et à s’armer de courage pour le bien des secondes. L’amour qui lie les femmes à leur mari également, bien que, comme c’est souvent le cas, celui-là ne dure pas forcément pour toujours. Mais aussi, et surtout, l’amour porté par les personnages au Moyen-Orient et au Liban en particulier. Car Des ailes au loin est un véritable chant d’amour pour le Liban. Un amour qui poussera les femmes du roman sans cesse à se retourner vers le Cèdre malgré la situation critique que traverse le pays tout au long du siècle que la famille traverse. Cet amour qui, dans les moments où la sérénité s’offre à elles, donnera aux femmes l’envie de goûter une fois encore au désordre qui règne au Liban.

J’ai été particulièrement touché par l’ensemble de ces histoires, racontées en alternance, quoiqu’en respectant toujours la chronologie des événements, par des personnages profonds qui, malgré une unicité de style dans l’écriture de roman, ont chacune une voix qui leur est propre, une singularité qui permet au lecteur de les reconnaître instinctivement. L’écriture de Jadd Hilal brille par sa simplicité : des mots directs mais qui n’empêchent ni la poésie, ni l’humour, d’affleurer dans les moments les plus durs du récit. C’est cette façon de dire les choses sans détours qui renforce selon moi l’impact du texte qui, tout en restant au plus près de la sensibilité et du vécu des personnages, donne la parole à un peuple entier, donne accès à toute une culture et paraît en même temps universel.

Maintenant que j’ai lu ce livre, il me tarde d’avoir l’occasion de retrouver la plume de Jadd Hilal et d’avoir, je l’espère, encore l’occasion d’être touché de la sorte par ses mots.

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