Avis #16 : Sous le soleil de mes cheveux blonds - Agathe Ruga
En lisant Sous le soleil de mes cheveux blonds d’Agathe Ruga, je me suis surpris à plusieurs
reprises à penser : « j’aurais pu écrire ça ». Bien sûr, je n’en
aurais pas été réellement capable puisqu’il aurait fallu pour cela que je
possède le talent d’Agathe Ruga pour manier les mots, ainsi que le recul et la
maturité nécessaires pour comprendre et rendre compte justement la douleur que
nous laissent celles et ceux qui sortent de nos vies.
Toujours est-il que, alors que j’avançais dans la lecture du
roman, j’ai pu me retrouver dans les interrogations de Brune, jeune femme
enceinte qui retrouve dans ses rêves Brigitte, qui l’a accompagnée de la fin de
son adolescence à son entrée dans l’âge adulte avant de mettre brutalement fin
à une amitié passionnée qui aura duré dix ans. Brune passe les neuf mois de sa
grossesse à ressasser les événements, de la rencontre à la rupture, en espérant
y trouver des réponses à ses questions. Sous
les cheveux blonds devient ainsi le récit d’une double gestation, celle de
l’enfant à naître et celle de l’apaisement. C’est donc tout naturellement que
la résilience passe chez Agathe Ruga par la naissance ; c’est en donnant
la vie que Brune pourra réellement récupérer la sienne.
L’autrice démontre dans son premier roman qu’elle a les
épaules pour entrer en littérature par la grande porte : j’ai été
totalement emporté par son écriture qui délivre avec sensibilité un texte
parfois dur dans lequel affleurent des moments de grâce et qui témoigne surtout
d’une grande clairvoyance sur l’absence et la douleur qu’elle engendre. « L’absence est pire que la mort, rien n’arrête
le sentiment d’absence, on est condamné à vivre avec tous ces absents qui
demeurent quelque part et sans nous. […]
Il n’y a pas d’issue. Les absents sont des trous dans nos cœurs. » C’est
sûr, si on ne tient pas compte des réserves émises en introduction de cet
article, j’aurais pu écrire ça.
Sous le soleil de mes
cheveux blonds a été pour moi une rencontre avec un texte qu’il m’était
nécessaire de lire, ici et maintenant. J’ai moi-même – comme beaucoup je
suppose – été à la place de Brune. Souvent, des amitiés se sont stoppées plus
ou moins brutalement, me laissant sur le côté avec une
encombrante incompréhension sur
les bras qui s’est muée à chaque fois en une obsession plus ou moins
destructrice. Ce roman, sans être ni le début, ni l’aboutissement du travail qu’il
me faut effectuer pour me réconcilier complètement avec mon passé, constitue
assurément une étape, dont seul l’avenir me montrera le degré d’importance. « À partir de vingt-cinq ans dirais-je, […] l’inconscient déborde. Il déborde car nous
sommes sans doute trop occupés à devenir responsables et autonomes, et nous
oublions de le verrouiller, plus de videur à l’entrée pour réguler les
névroses, c’est l’anarchie des sensibilités. » Une fois de plus, j’aurais
pu écrire ça.
On oublie parfois le rôle qu’a à jouer la littérature dans l’accompagnement
des lecteur.rice.s. C’est ce rôle qui rend, selon moi, nécessaire la
représentation des minorités en littérature et c’est ce rôle que joue, avec
moi, le roman d’Agathe Ruga. Je suis arrivé à cet âge où le passé devient lourd
et arrête de « nous [glisser] dessus comme sur les plumes d’un canard »
et Agathe Ruga, par l’intermédiaire de Brune, est là pour me rappeler que je ne
suis pas le seul dans ce cas et qu’on peut le surmonter. J’espère juste ne pas
avoir à donner moi-même naissance pour y parvenir, auquel cas cela
serait sans doute plus compliqué que prévu.
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