Avis #19 : La vraie vie - Adeline Dieudonné


Prix Première Plume, prix du roman Fnac, Prix Filigranes, Prix Renaudot des lycéens, Prix Victor Rossel, Prix du Premier roman au Québec : le moins que l’on puisse dire, c’est qu’Adeline Dieudonné a fait une entrée remarquée sur la scène littéraire francophone. Le succès que l’autrice belge rencontre avec son premier roman La vraie vie dépasse la sphère critique. Nombreuses sont les personnes qui ont prêché en faveur de ce récit cinglant sur les réseaux sociaux et il n’en finit pas d’être réservé et emprunté à la bibliothèque dans laquelle je travaille. Il m’aura fallu relativement longtemps avant d’enfin le lire et je dois reconnaître que l’attente en valait la peine.

On suit dans ce roman l’entrée dans l’adolescence de la narratrice, qui évolue dans une famille qui n’a rien d’idéal. Un père chasseur, véritable prédateur dans la crainte de qui vit la mère dont les seuls moments de joie sont ceux au cours desquels elle prend soin de ses animaux. Un petit frère avec qui la jeune fille entretient une relation tendre et complice jusqu’à ce qu’un malheureux et brutal incident vienne noircir un peu plus la vie qu’ils mènent dans un lotissement qui « gagn[e] en mocheté à mesure que la météo embelli[t] ». Dès lors, la narratrice n’a qu’un objectif : trouver le moyen de remonter le temps pour oublier le « brouillon de vie » qu’elle subit et rendre à son frère le sourire dans ce qui sera leur « vraie vie ».

Adeline Dieudonné réussit l’exploit d’amener de la lumière dans une histoire sombre où l’espoir ne semble pas avoir sa place. Tout est dur dans son texte, pourtant, quelque chose de solaire s’en dégage. Un humour noir qui sauve la santé mentale du lecteur à mesure que celle des personnages semble condamnée.

L’écriture efficace de la primo-romancière nous happe dès l’incipit, qui pourrait selon moi devenir aussi célèbre que le « Longtemps, je me suis couché de bonne heure » de Proust. Je ne serais pas étonné de voir dans de futures éditions du célèbre jeu de plateau Trivial Pursuit apparaître une question nous demandant d’identifier le roman commençant par les phrases : « À la maison, il y avait quatre chambres. La mienne, celle de mon petit frère, Gilles, celle de mes parents et celle des cadavres. » Rarement une ouverture de roman ne donne aussi précisément le ton de ce qui va suivre.

J’ai lu La vraie vie en apnée, ne reprenant mon souffle que quand le choc des mots et des images était trop violent pour me permettre de continuer à lire sans marquer un temps. Le récit est composé d’une manière simple et efficace. Laurence Houot, dans son article rédigé pour Culturebox parle de « suspense Hitchcockien » et on ne pouvait trouver de comparaison plus heureuse. Comment ne pas penser aux héroïnes du maître du suspense britannique quand la narratrice, alors qu’elle cherche à remettre en place la défense en ivoire si chère à son père, est sur le point d’être prise la main dans le sac ? La tension que ressent le lecteur à cet instant est la même que celle du spectateur assistant impuissant aux recherches de Grace Kelly dans Fenêtre sur cour. La défense en ivoire elle-même permet de rapprocher La vraie vie aux films d’Hitchcock puisqu’elle constitue un parfait exemple de MacGuffin, ce ressort narratif popularisé par le cinéaste qui sert au développement de l’intrigue sans pour autant y revêtir de réelle importance.

Je ne suis certes pas le premier à peindre un portrait aussi dithyrambique de ce roman paru chez L’iconoclaste, mais j’ose espérer ne pas être le dernier non plus. D’ailleurs, si je n’avais pu ne serait-ce qu’aider à convaincre une personne de se plonger corps et âme dans la lecture de La vraie vie, j’en serais véritablement comblé.

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