Avis #20 : De la race des seigneurs - Alain-Fabien Delon


Alain-Fabien Delon le précise dans ses remerciements : De la race des seigneurs n’est ni « un livre-témoignage ni un document, mais véritablement un roman ». Je l’ai donc lu comme tel, sans chercher à démêler le vrai du faux, sans adopter la position voyeuriste de quelqu’un qui souhaiterait se repaître des déboires d’une famille célèbre. 

Il ne sera évidemment pas question dans cet article que je rédige de jeter des ponts entre la réalité et la fiction, de sous-peser la part autobiographique que cachent les mots de l’auteur mais bien, comme je l’ai fait pour chacun des livres dont j’ai parlé sur ce blog jusqu’à présent, de livrer mon ressenti sur cette lecture.

Il y a cependant quelque chose d’assez intéressant à constater par rapport aux parallélismes qu’on pourrait effectuer entre ce roman et la réalité : c’est la pertinence du sujet choisi. De la race des seigneurs parle notamment des difficultés engendrées par la filiation dans les milieux artistique et médiatique et la façon dont a pu parfois être accueilli le roman montre qu’elles sont bel et bien présentes et qu’elles méritent d’être questionnées. Il n’y a qu’à voir la façon dont l’auteur a été reçu dans l’émission On n’est pas couché : retours insistants de Laurent Ruquier sur les similitudes entre Alain-Fabien Delon et son personnage Alexandre Delval, intervention de Charles Consigny qui ne mentionne que très peu le livre pour évoquer la question de l’héritage que constitue le nom Delon… le tout après qu’Alain-Fabien Delon a pris la peine de rappeler qu’il s’agissait avant tout d’un roman et qu’il ne souhaitait pas qu’on s’attarde sur les rapports fiction/réalité qui ont alimenté son écriture. Je me souviens également avoir lu sur les réseaux sociaux plusieurs commentaires de quidams qui, sans avoir lu le livre évidemment, savaient déjà avec certitude qu’il ne valait pas le coup puisqu’on ne s’improvise pas écrivain. Une façon de rappeler qu’être « fils de… » est forcément un sésame qui ouvre les portes sans que la personne n’ait à faire le moindre effort.

C’est en partie pour éviter de faire cet amalgame que j’ai directement eu très envie de lire ce roman. La deuxième raison est que j’ai été complètement séduit par la performance de l’acteur dans le film poétique Les rencontres d’après minuit de Yann Gonzalez. J’étais donc curieux de voir si l’auteur allait lui aussi être capable de m’emporter.

Ce fut largement le cas. J’ai été touché par le fond de l’histoire : la difficulté de se positionner dans la vie quand on a un père qui prend toute la place et dont le nom seul suffit à imposer sa présence. Alexandre Delval, fils de l’acteur d’Alexandre Delval, a une nuit pour décider s’il accepte ou non son premier rôle au cinéma. Se pose alors pour lui la question de savoir s’il pourra ou non exister à l’écran ou si, au contraire, il n’en finira pas d’être caché dans l’ombre du père. Le livre raconte également la douleur d’un jeune homme, abandonné à nombreuses reprises par ce père qu’il admire, mais aussi par sa mère ou son amoureuse. Une histoire qui, si elle s’inscrit dans un milieu ouvert à un nombre restreint de personnes, ne manque pas d’être universelle puisqu’il s’agit pour le jeune Alexandre de trouver sa place et de l’occuper pleinement.

Plus que le fond, c’est la forme qui m’a conquis. L’écriture d’Alain-Fabien Delon est nerveuse ; tantôt à fleur de peau, tantôt sur la défensive, elle démontre avant tout une sincérité qui sert le texte d’une très jolie façon. La narration elle-même m’a d’ailleurs beaucoup plu. Entre le prologue et l’épilogue, le narrateur raconte son histoire à un psy qui l’a recueilli chez lui après l’avoir extirpé d’une bagarre qui aurait pu mal tourner. L’histoire personnelle d’Alexandre Delval s’adresse alors à un double destinataire – le psy et le lecteur –, ce qui permet à l’auteur d’amener dans son livre un caractère réflexif : certaines adresses lancée par le narrateur à son interlocuteur intradiégétique semblent destinées au lecteur. Une manière de rappeler à celui-ci qu’il est en réalité en train de lire un livre en rappelant à sa mémoire le dispositif lui-même que constitue le roman en « brisant le quatrième mur » comme on peut le faire au théâtre ou au cinéma. Volonté de l’auteur de rappeler à son lectorat qu’il s’agit d’une œuvre de fiction ou simple coïncidence ?

Quoi qu’il en soit, j’ai pris beaucoup de plaisir à lire ce roman, deuxième de la superbe collection Arpège des éditions Stock que je lis. Convaincu, je suis.

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