Avis #21 : Les nougats - Paul Béhergé


Premier roman de Paul Béhergé, jeune auteur de 27 ans, paru chez Buchet/Chastel lors de la rentrée littéraire de septembre 2018, Les nougats me semble être passé relativement inaperçu. Je n’en avais moi-même pas du tout entendu parler avant qu’il ne me soit demandé par une collègue d’une autre bibliothèque. Nous sommes par ailleurs la seule bibliothèque de la Province de Liège à l’avoir acquis, ce qui est, selon moi, totalement regrettable. Car, comme la friandise qui lui a donné son nom, ce texte se dévore avec gourmandise.

Les nougats propose aux lecteur.rice.s de suivre son narrateur, Paul Montès, dans une folle journée qui est supposée être le point d’orgue de son destin. C’est en effet le 14 décembre qu’il va pouvoir retrouver son ami Olivier Labrousse, à qui il n’a plus parlé depuis qu’un épineux conflit les a définitivement séparés. Alors qu’il effectue le trajet qui sépare la villa dans laquelle il vit reclus – presque complètement coupé du reste du monde – de Paris, Paul Montès retrace l’histoire de son amitié avec Olivier Labrousse. De prime abord, tout semble opposer les deux hommes, qui se sont rencontrés lors d’un match de foot au cours duquel Labrousse a cassé le nez de Montès. Le premier est une espèce de brute dont l’esprit manque cruellement de finesse tandis que le second est un doux rêveur, aussi maladroit qu’il semble promis à un grand avenir. Celui-ci a écrit un manuscrit philosophique dans lequel il évoque deux de ses obsessions : ramasser des galets et mâchouiller des nougats. Obsessions auxquelles s’ajoute celle que constitue l’amitié étrange qui le lie à Labrousse, laquelle n’aura pas toujours été source de satisfaction comme le laisse penser une des premières phrases qu’il écrit : « Ma vie aura consisté en un assemblage épars de nougats, de galets et de chagrins : il était dit que je manquerais d’affection ».

Progressivement, le narrateur nous donne les clés pour comprendre ce qui l’a empêché d’accéder à la gloire à laquelle il semblait être promis. Olivier, dont le seul but a toujours été de tirer son épingle du jeu, a tenté de lui voler le manuscrit pour s’en approprier ce qu’il a pu en retirer. Cette information nous est livrée avant même que Montès ne commence à se raconter puisque les citations mises en exergues sont extraites pour la première du manuscrit des Petites Collections et Logique de l’être et pour la seconde de Logique de l’être : aphorismes collectionnistes, qu’Olivier Labrousse a fait publier en son nom trois ans avant l’action du roman et qui lui a permis de devenir un philosophe médiatique admiré de tous.

Les circonstances qui ont conduit les destins des deux personnages à s’inverser totalement sont quant à elles distillées dans un texte drôle et intelligent qui prend la forme d’un puzzle où, en plus de la première ligne de narration que crée Montès en cheminant de Rambouillet à Paris, l’on trouve des retranscriptions de monologues prononcés par Labrousse, des extraits des archives personnelles du narrateur, les premiers chapitres d’un roman qu’il a consacré à son ami… Une narration morcelée pour que mener le lectorat par le bout du nez qui m’a particulièrement séduit.

Autre point fort du roman : l’humour, souvent absurde et teinté de naïveté, qui permet au narrateur de s’attirer la sympathie du lecteur alors qu’il faut bien avouer qu’on préférerait sans doute ne pas croiser un tel personnage dans la vraie vie. Je me suis personnellement surpris à éclater de rire à de nombreuses reprises : « À Rambouillet, je suis quelqu’un. Quand j’arrive, les gosses courent. – Voilà l’idiot, voilà l’idiot ! piaillent-ils. » ; « (…) il me neutralisa à la manière dont on prépare une dinde, c’est-à-dire : 1) Disposer le Montès à plat ventre contre la chaussée. 2) De la main droite, saisir la manche droite du Montès (…) ».

Je n’en dis pas plus parce que je pense que ce premier roman de Paul Béhergé mérite d’être découvert sans qu’on n’en sache trop et je vous souhaite, à vous qui souhaiteriez peut-être le lire, de prendre autant de plaisir que moi à découvrir ce jeune auteur dont la folie et l’inventivité m’ont par moments rappelé celles d’un auteur que j’admire tout particulièrement : Boris Vian.

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