Avis #23 : La fille dans l'écran - Manon Desveaux et Lou Lubie

Tout le monde a un avis sur les relations par Internet, qu'elles soient amoureuses, amicales, un peu des deux ou rien de tout ça. Certain.e.s se jettent à corps perdus dans les dialogues virtuelles tandis que d'autres ne peuvent même pas concevoir qu'on puisse s'attacher à une personne qu'on n'a jamais rencontré IRL. Je fais personnellement partie de la première catégorie. Avoir des correspondant.e.s 2.0 m'a beaucoup aidé dans mon adolescence, alors que j'éprouvais des difficultés à trouver ma place. Parler à visage masqué (que l'autre ait vu ou non des photos de nous ne change rien au fait qu'on dialogue à couvert) en ayant la possibilité de prendre le temps de poser ses mots a quelque chose de rassurant et je suis persuadé que, parfois, l'écran permet d'atteindre la vérité là où les rapports "en direct" peuvent échouer. J'ai pour ma part le sentiment d'avoir été plus en accord avec moi-même dans certaines de mes amitiés virtuelles que dans une partie de mes amitiés "réelles". Si je vous raconte ma vie en introduction de cet article, ce n'est pas uniquement par plaisir d'étaler mes sentiments sur la toile, mais aussi (et surtout) parce que c'est ce dont parlent Manon Desveaux et Lou Lubie dans leur roman graphique à quatre mains La fille dans l'écran, paru chez Marabulles, la collection BD des éditions Marabout.

Coline est une jeune illustratrice française qui planche sur un projet qui est pour elle celui de la dernière chance : la jeune femme de vingt ans devra se résoudre à suivre la voie que souhaite lui imposer sa mère si elle ne trouve pas de travail. Marley, quant à elle, a quitté la France pour le Québec alors qu'elle étudiait la photographie, passion qu'elle a progressivement délaissée à cause des contraintes du quotidien. Alors que la première cherche de l'inspiration pour ses dessins, elle tombe sur le site de la seconde et décide de la contacter. S'installe entre les deux artistes une amitié qui prend de plus en plus de place et qui est susceptible de changer leurs vies respectives.

Je ne vous divulgue rien en vous disant que ce roman graphique parle d'amour : la couverture le fait d'elle-même. Les deux illustratrices derrière le projet nous racontent une romance épistolaire aussi réconfortante que touchante. La manière dont le dialogue s'installe et se développe est d'une justesse telle que j'en ai été troublé : je me suis reconnu à plusieurs reprises dans ces façons de ré-écrire plusieurs fois un même message, d'interpréter les absences de réponse, d'appréhender les réactions de l'autre. Sensations que j'ai vécues de nombreuses fois, dans des situations qui ne m'ont pas toujours été bénéfiques. Je me suis d'autant plus identifié aux personnages que les accès d'anxiété de Coline, dessinée par Manon Desveaux, m'ont rappelé les miens. 

La fille dans l'écran a évidemment d'autres atouts que cet effet miroir. La narration elle-même est très originale : les pages de gauche racontent l'histoire de Coline en noir et blanc et celles de droites celle de Marley en couleur. Par moments, les pages se rejoignent et, quand Marley rend visite à Coline, elle devient le seul élément coloré du dessin. La lecture s'effectue donc dans le sens traditionnel d'une bande-dessinée pendant la majeure partie du récit mais il arrive que, par moments, la narration s'étale sur la double-page.

Le tout est servi par un magnifique travail d'illustration par lequel les deux artistes ont su rendre compte de façon ingénieuse des sentiments qu'éprouvent leurs personnages à mesure que leur relation se construit. Les doutes, les joies, l'attente, l'excitation ; tout est magnifié et offert au regard du lecteur, qui reçoit l'histoire directement dans le cœur.

Bref, vous l'aurez (j'espère) compris, j'ai été totalement enthousiasmé par La fille dans l'écran et je ne peux que vous encourager à vous laisser tenter par sa lecture. 

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