Avis #35 : Tu aimeras ce que tu as tué - Kevin Lambert

Il y a deux mois, Le Dévorateur m'a mis l'eau à la bouche en parlant de sa lecture de Querelle de Kevin Lambert, qui sort ce vendredi 23 août chez le Nouvel Attila. Impatient de découvrir la plume de cet auteur qui a plus que comblé les attentes du Dévorateur, je me suis rué sur le catalogue en ligne de la librairie Pax pour me rendre compte qu'ils avaient en stock Querelle de Roberval dans son édition québécoise, ainsi que le premier roman du jeune auteur (qu'il me plaît de pouvoir le qualifier de jeune, lui qui est né en 1992 comme moi !) : Tu aimeras ce que tu as tué. Je n'ai pas hésité longtemps avant de me décider à acheter les deux, persuadé que j'allais accrocher avec le style de l'auteur. Je ne me suis pas trompé !

Tu aimeras ce que tu as tué nous met face à une guerre : celle que livre le jeune Faldistoire à Chicoutimi, sa ville qu'il semble haïr au plus haut point. On découvre progressivement ce qui a conduit le jeune garçon à détester autant la ville, qui ne semble avoir d'autre vocation que de tuer l'enfance. Littéralement. Dans ce roman lauréat du Prix Découverte du Salon du livre du Saguenay−Lac-Saint-Jean 2017, les enfants meurent violemment : accident de déneigeuse, homicide familial, perforation du crâne... rien ne leur est épargné. Mais, s'ils meurent, cela ne semble pas les perturber le moins du monde puisqu'ils ont tendance à réapparaître du jour au lendemain, et à reprendre leur vie là où ils l'avaient laissée. Kevin Lambert n'hésite donc pas à bousculer son lectorat, aussi bien avec la cruauté de son texte qu'en défiant la logique. 

L'auteur n'hésite pas à souligner cet aspect quand il fait dire à son narrateur : « Déjà, mon avenir est écrit sans que je puisse le savoir, sans que je puisse le lire pour en corriger les fautes d'accord et d'orthographe, les erreurs logiques qui devraient être absentent de tout récit (...) ». Cette phrase, qui intervient quelques pages après la première mention du retour des enfants qui meurent, amène le·la lecteur·rice a faire le lien entre ce que dit le narrateur et le roman lui-même. Cette part de réflexivité qui nous force à sortir du récit pour nous rappeler que nous sommes face à une œuvre de fiction, nous permettant ainsi de souffler de soulagement face aux horreurs de que l'on a déjà lues et à celles que l'on s'apprête à lire, est également amenée par un autre personnage du roman : Kevin Lambert. À la première apparition de ce jeune adulte qui s'apprête, sans le savoir, à voir sa vie complètement chamboulée, nous ne pouvons que nous étonner de constater que l'auteur a donné son nom à un personnage. L'a-t-il fait pour nous obliger une fois de plus à prendre conscience qu'on est en présence d'un roman ou est-ce un indice qu'il a insufflé dans son texte une part de lui-même ? Quoi qu'il en soit, je n'ai pas l'impression que le personnage Kevin Lambert ressemble à l'écrivain Kevin Lambert. J'ai l'intuition que, s'il faut vraiment retrouver l'auteur dans ce livre, c'est plutôt dans la rancœur que tient Faldistoire envers Chicoutimi que ça se joue, Kevin Lambert ayant déclaré dans une interview avoir « des souvenirs doux-amers de [son] enfance et de [son] adolescence ».

Tu aimeras ce que tu as tué raconte une révolte sans ménager le lecteur, avec une violence qui ne se manifeste pas que dans les actions, mais également dans la manière d'écrire. On le sent très rapidement, Faldistoire, le jeune narrateur qui n'est qu'en deuxième primaire quand le roman s'ouvre, est un garçon torturé. Cela se marque notamment dans la manière qu'il a d'enchaîner plusieurs phrases dans une seule, d'intégrer les dialogues à la narration, de faire se bousculer les idées, de raconter des souvenirs qu'il n'a pas, d'interpeller les personnages dont il parle, d'annoncer ce qui va se passer plus tard avant de revenir sur ce qui est arrivé plus tôt, tuant le suspense et apportant des réponses tardivement...« Je suis peut-être dans ce rond-point, tout près de Kevin qui me regarde peut-être de ses yeux de départ. (...) J'ai oublié ce jour où Kevin Lambert quitte le quartier. J'ai souvenir d'aucun après-midi ni du chant des oiseaux qui se jettent hors des nids, se brisent le cou en bas des arbres avant d'être mangés par les couleuvres. Je dis ce jour véritable qui existe nulle part dans ma mémoire parce qu'il le faut, et le jour vient, le soleil se lève, le matin se fait, l'après-midi advient, et je suis à quatre pattes sur l'asphalte, à ramper pour aller chercher le ballon sous le camion, Sébastien me tire des roches, Marie-Loup tombe de son vélo et s'écorche le genou. »

Il y a dans la langue de Faldistoire une colère aussi manifeste qu'intense, qu'il intériorise encore au début du récit. Et puis, d'un coup, Faldistoire décide de laisser s'exprimer sa colère, de prendre sa revanche sur Chicoutimi pour accomplir sa destinée. À partir de ce moment-là, à mesure que le chaos gagne la ville, la narration se fait plus conventionnelle (peut-être n'est-ce qu'une impression que j'ai eue ?) : les phrases sont plus courtes, la chronologie est moins malmenée, les enchaînements logiques plus respectés. Comme si, à mesure que la violence tend à changer de camp et à se faire plus virulente, le texte devait se faire plus calme, plus limpide pour mieux souligner la détermination d'un Faldistoire que le désordre semble apaiser. 

En définitive, j'ai été complètement soufflé par cette lecture, qui m'a réjoui par la liberté, la fougue et l'ingéniosité de l'auteur, dont il me tarde de découvrir le second roman. Pour les Liégeois·e·s que ça intéresse, Kevin Lambert sera présent le 19 septembre prochain à la librairie Pax pour une rencontre que j'espère ne pas manquer.

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