Avis #26 : Tu reviendras - Brahim Metiba

Tu reviendras. Derrière ce titre aux accents prophétiques publié aux éditions Elyzad se trouve le récit morcelé d'un retour. Ce retour, c'est celui d'un fils qui n'est pas rentré auprès des siens depuis dix ans. C'est à l'âge de quarante ans, celui qu'avait sa mère quand elle lui a donné naissance, que le narrateur décide d'aller retrouver sa famille en Algérie. L'idée lui est venue chez le psy. « C'était une évidence. Mon absence avait trop duré, je ne pouvais plus fuir éternellement, il fallait revenir et affronter la situation. » La situation qu'il lui faut affronter, c'est la dépression du père avec qui il n'a guère parlé depuis qu'il a annoncé son homosexualité à sa famille ce qui s'est révélé être « un drame pour certains, une trahison pour d'autres ». 

Il est difficile de savoir si l'homme qui raconte son voyage en Algérie dans ce court récit est l'écrivain Brahim Metiba, un personnage fictif ou un mélange des deux. Il s'agit du premier texte de cet auteur que je lis : je ne suis donc pas familiarisé avec son écriture mais la présentation retranscrite en quatrième de couverture nous indique que Brahim Metiba, dont l'âge correspond plus ou moins à celui du narrateur, écrit généralement de l'autofiction. Cette information ajoutée au fait que le livre est publié dans la collection Éclats de vie, présentée par l'éditeur comme un ensemble de « récits liés ou en écho à des expériences vécues, quelque fois graves, souvent émouvantes, qui touchent l'être humain dans ce qu'il a d'universel » font pencher la balance vers la troisième option : il doit y avoir quelque chose de très personnel dans ces nonante pages mais il faut garder à l'esprit que l'auteur, en tant qu'inventeur d'histoires, n'est jamais très loin. Quoi qu'il en soit, il s'agit d'une oeuvre littéraire sensible et envoûtante.

Le narrateur confie au lecteur ses pensées et ses sensations qu'il a consignées dans un journal avant de partir, une fois sur place et après avoir embarqué dans l'avion le reconduisant à Paris. En résulte un patchwork de paragraphes courts qui ne livrent qu'une vision parcellaire de ce que l'écrivain apparente à une renaissance. Nous ne saurons presque rien de l'accueil que lui ont réservé les membres de sa famille, nous n'apprendrons pas ce que se sont dit l'homme et son père, pas plus que ce qu'ils ne se sont pas dit. Tout ça reste hors de notre portée, sans qu'on sache réellement s'il s'agit ici de pudeur ou d'une intention véritable. Par contre, nous sommes les témoins d'une redécouverte du passé, de la confrontation entre les souvenirs fantasmés et la réalité parfois cruelle qui sont décrits dans une langue qui ne s'embarrasse pas d'effets de style tout en conservant un caractère littéraire indéniable. La musique des mots se met au service de l'émotion que le narrateur éprouve en renouant avec son passé. « Sous la chaleur, ma vision se trouble, je revois mes anciennes amours, les vieilles portes derrière lesquelles j'ai volé quelques baisers, les vieilles portes derrière lesquelles j'ai consenti à ce qu'on me vole quelques baisers, mes premières amours, heureuses et contrariées. »

En lisant ce texte de Brahim Metiba, je n'ai pu m'empêcher de repenser à une autre histoire de retour : celle de Driss Ghali dans Mon père, le Maroc et moi. Bien que les conditions du retour des deux hommes soient totalement différentes, j'ai vu pas mal de similitudes dans la façon qu'ils ont tous les deux de rentrer chez eux avec un œil neuf, imposé par des circonstances peu clémentes : là où Driss Ghali redécouvrait un Maroc dépourvu de son père décédé, le narrateur de Brahim Metiba retrouve un père amoindri, qu'il admirait jadis pour l'élégance de sa parole et de son apparence. Dans les deux récits, on découvre une forme d'inquiétude face au devenir des lieux qu'ils ont investi dans leur enfance. Ainsi, le quadragénaire algérien écrit dans son carnet : « sentiment que personne ne dirige cette ville, que le pays est abandonné ».

Tu reviendras est également l'occasion pour l'auteur de s'interroger sur sa pratique d'écrivain, laissant entendre au lecteur qu'on n'est jamais totalement maître ce qu'on écrit, qu'une part de ce qu'on veut dire passe parfois à la trappe sans qu'on ne s'en rende compte. « En écrivant, j'ai sélectionné, trié. Des pans entiers de ma réalité n'ont pas été écrits. Pourquoi ? Où sont-ils ? (...) Où sont toutes ce secondes réellement vécues et que j'ai finalement oubliées en écrivant ? Qu'elles me pardonnent ! » Le narrateur qui avait décidé d'écrire pour ne jamais oublier se rend donc compte que l'acte d'écrire peut en fait créer de l'oubli plus qu'il ne nous en préserve. L'occasion pour le lecteur de mesurer l'importance qu'ont pu revêtir les silences dans ce récit qui explore la mélancolie et l'exil de façon subtile.

J'ai été très touché par ce bref récit d'autofiction d'un auteur que je ne connaissais pas jusqu'alors et dont la lecture suscite en moi la curiosité de découvrir ses autres écrits.

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