Avis #30 : Un ange cornu avec des ailes de tôle - Michel Tremblay

Troisième et dernière recommandation du hashtag #juilletjevoyageenlivres de @riendetelque , Un ange cornu avec des ailes de tôle est un livre avec lequel j'ai une relation particulière. J'ai dû le lire dans le cadre du cours de français quand j'étais en secondaires. J'avais alors entre quinze et dix-sept ans (impossible de me souvenir en quelle année j'étais), et j'ai détesté ce livre, comme beaucoup de lectures imposées. Ce n'est que bien plus tard que j'ai repensé à ce livre et que je me suis rendu compte, au fur et à mesure que j'avançais dans ma vie d'adulte, qu'il m'avait laissé une plus forte impression que je ne le pensais. En choisissant de vous proposer une sélection sur le Québec, j'ai directement su qu'il fallait que je présente celui-ci, ce qui me donnait une bonne occasion de le relire.


Michel Tremblay nous livre dans ce récit son propre parcours de lecteur. Du premier livre lu au premier livre publié, ce dramaturge et romancier emblématique du paysage littéraire québécois dresse l'inventaire des livres qui ont marqué sa vie. On y découvre le portrait d'un jeune garçon sensible qui trouve dans la lecture de quoi grandir et avancer dans sa vie. C'est un véritable chant d'amour pour la littérature que rédige Michel Tremblay en nous rappelant que les livres qu'on a lus (ou pas) nous forgent, mais également un bel hommage à sa famille et à ses origines.

Cet hommage, l'auteur le rend notamment en mettant en avant le joual, cette façon de parler propre aux canadiens francophones. Michel Tremblay utilise et magnifie le langage populaire pour en faire sortir la force littéraire et laisser affleurer la sincérité. La gouaille de Rhéauna, sa mère qui a su tant l'aimer, nous amuse tout en nous charmant ; on se sent bien dans l'appartement familial en compagnie des parents, des frères et sœurs, de la grand-mère et des "matantes" de Michel Tremblay. Si bien qu'on aimerait y passer plus de temps. Les dialogues sont trucculents, ont est transporté à Montréal dès les premiers mots, l'accent finissant par gagner naturellement notre voix intérieure.

Un ange cornu avec des ailes de tôle revêt des allures de récit initiatique. Le jeune Michel Tremblay apprend au fur et à mesure de ses lectures que lire permet non seulement de s'évader, mais également d'apprendre, de se construire, d'aimer. On passe par toutes les émotions qui traversent le jeune lecteur : les premiers frissons, les premières déceptions parfois violentes, les premiers éveils de la sexualité, tout y est consigné. Je ne doute pas une seule seconde que de nombreuses personnes se reconnaîtront dans certains passages, notamment dans celui expliquant le rituel de lecture auquel s'adonne le jeune Michel : "je me suis assis au bord du sofa basculant qui me sert de lit, j'ai serré le volume sur ma poitrine après m'être bien imprégné de son odeur, j'ai fait une courte prière non pas à Dieu mais à la joie de lire, si forte, si puissante, que j'ai tellement peur de perdre en vieillissant (...) [le] plaisir d'ouvrir le livre, de bien casser la reliure du dos, de vérifier combien de pages il me reste à lire..."

Un ange cornu avec des ailes de tôle est devenu pour moi un livre d'une grande importance, auquel il m'arrive souvent de repenser. J'éprouve d'ailleurs des difficultés à comprendre ce que je lui reprochais à l'époque. Il me semble avoir été repoussé par la (trop) grande sensibilité - j'aurais à l'époque parlé de sensiblerie - du jeune garçon, sans doute parce qu'elle était en fait fort semblable à la mienne, que je considérais alors comme une faiblesse. Il m'a fallu du temps pour comprendre l'importance de cette lecture, mais je sais désormais qu'elle ne me quittera plus jamais.

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