Avis #31 : Taqawan - Éric Plamodon

Faut-il encore présenter Taqawan d'Éric Plamondon ? J'ai l'impression qu'on l'a déjà énormément vu sur Instagram, tant il a été lu, si ce n'est dévoré, et adoré par de nombreux·ses lecteur·rice·s. Face à un tel engouement, je me suis lancé dans la lecture de ce roman les yeux fermés (quoiqu'un peu ouverts tout de même), persuadé d'être transporté, ou carrément happé comme le laissaient présager les avis des différent·e·s prescripteur·rice·s 2.0, de la première à la dernière page. Force est de constater que je n'ai pas été aussi emballé que prévu par ce roman. Au début, en tout cas.

Un taqawan, dans la langue des Mi'gmaqs, peuple indien de l'Est de l'Amérique du Nord, est un saumon qui revient pour la première fois dans la rivière qui l'a vu naître. Avant de devenir taqawan, le saumon doit grandir et survivre dans des conditions pas toujours favorables. Ici, le titre devient le symbole d'un retour (chez soi, à la normale, ou de toute autre nature) après avoir fait face à l'adversité. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que de l'adversité, il y en a dans ce roman. Le récit prend place en juin 1981 dans la réserve indienne de Restigouche. Le 11 juin, une descente policière y est organisée pour enlever les filets de pêches des Autochtones. La confrontation est musclée, l'injustice est grande. Océane, une adolescente de 15 ans, s'apprêtait à rentrer de l'école quand le bus qui amène les jeunes Amérindiens dans la réserve s'est retrouvé bloqué à l'entrée du pont qui relie le Nouveau-Brunswick à Restigouche. À la suite de trois jeunes garçons, Océane parvient à échapper à la vigilance des policiers et à rejoindre sa famille, où elle apprend l'arrestation de son père. Quelques temps après cette descente, Yves Leclerc, ancien garde-chasse ayant démissionné après avoir été écœuré par les événements du 11 juin, retrouve une jeune Indienne dans la forêt, visiblement en état de choc. Aidé d'un ermite Mi'gmaq, il décide de prendre soin d'elle et de la protéger.

Dès la lecture du résumé, j'ai été vivement intéressé par ce roman. La cause des peuples autochtones d'Amérique du Nord est un sujet de plus en plus mis en avant et que sur lequel je n'ai quasiment pas de connaissances. Les premières pages m'ont quelque peu refroidi. Je n'ai pas été sensible au style de l'auteur : des phrases courtes qui se succèdent plus qu'elles ne s'enchaînent, un ton clinique proche de l'absence de ton qui m'a empêché de rentrer réellement dans le récit pendant toute sa mise en place. Au moment des passages les plus violents, par contre, cette écriture qui se contente d'énoncer les faits fonctionne à merveille. La froideur des phrases donne alors plus de poids au choc des images qui se forment dans notre esprit de lecteur·rice. Le reste du temps, ce style hermétique m'a laissé de marbre.

J'ai également été quelque peu décontenancé par la structure même du récit. Les chapitres sont très courts, n'excédant jamais cinq pages, ce qui a tendance à me plaire (surtout quand je lis dans le train). Comme les phrases, les chapitres semblent de prime à bord ne pas réellement se suivre. Ils donnent plutôt l'impression d'être mis bout à bout. Bien sûr, un arc narratif se dégage, mais celui-ci est régulièrement interrompu par des intermèdes plus documentaires, sur l'histoire des peuples indiens au Canada, ou sur l'aspect culturel de la tribu des Mig'maqs. Cette façon originale de construire le récit n'est pas forcément un frein pour moi (un de mes livres préférés, Jamais avant le coucher du soleil de Johanna Sinisalo, dont je vous parlerai peut-être prochainement, présente d'ailleurs ce type de structure). Cependant, dans le cas de Taqawan, ça m'a quelque peu gêné. Je peux difficilement l'expliquer, mais j'avais l'impression que quelque chose ne fonctionnait pas, que ces moments de repos dans la narration n'aidaient pas forcément la compréhension du reste du texte.

À partir de la seconde moitié du livre, ces réticences ont progressivement disparu, les éléments faisant sens entre eux, le style me gênant moins, quoique ne me plaisant pas pour autant. Puis viennent les cinquante dernières pages. D'un coup, l'action prend le dessus. Le récit s'accélère et les pages semblaient se tourner d'elles-mêmes. J'ai lu ce dernier quart de Taqawan en apnée, saisi que j'étais par la tournure des événements. J'avoue m'être demandé a posteriori si le texte ne perdait pas en crédibilité à cause de cette manière brutale qu'avait le récit de glisser vers un genre plus proche du thriller d'action. Cependant, au moment de la lecture, le texte était à mes yeux convaincant et l'effet produit, grisant.

Je ne ressors donc pas de la lecture de Taqawan transcendé comme d'autres avant moi, mais je n'en sors pas aussi indifférent que le début m'avait laissé le présager. Je suis même plutôt séduit, comprenant totalement qu'il puisse plaire autant.

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