Avis #34 : Monsieur Origami - Jean-Marc Ceci

Des romans, il en existe de toutes sortes. Certains jouent sur l'abondance des mots, d'autres sur un style unique. Certains font primer l'histoire sur le style, d'autres privilégient la forme. Il y a des romans qui cherchent à refléter le réel et des romans qui veulent nous aider à nous en échapper. Certains sont légers, d'autres graves. Et puis il y a Monsieur Origami, de Jean-Marc Ceci, publié chez Gallimard en 2016 et réédité en poche chez Folio au premier trimestre de 2018. Un an et demi plus tard, il est arrivé dans mes mains, pour mon plus grand bonheur. 

Monsieur Origami est une oeuvre étrange, difficilement descriptible. D'abord parce qu'elle semble n'appartenir à aucun genre. Il n'est pas un roman comme on les connaît, bien qu'il s'annonce à nous comme tel. Pas de la poésie non plus, bien que le texte n'en manque pas. Il ne s'agit pas d'un essai philosophique bien qu'il soit source de questionnements. Pourrait-on parler de récit initiatique pour un texte aussi énigmatique ? Ce n'est pas non plus un conte à proprement parler, car il ne nous impose aucune morale. Comment donc définir Monsieur Origami sans le trahir ? Comment parler d'un texte aussi atypique sans le réduire à son originalité ? J'avoue ne pas trouver les réponses à ses questions. J'avancerai donc dans cet article à tâtons, espérant vous donner envie de découvrir l'histoire de cette rencontre entre Maître Kurogiku et Casparo, si ce n'est déjà fait.

J'ai déjà un peu vendu la mèche : l'histoire de Monsieur Origami est celle d'une rencontre. Rencontre entre Maître Kurogiku, vieillard japonais ayant quitté son pays à l'âge de vingt ans pour rejoindre l'Italie, et Casparo, jeune homme qui vient de terminer ses études en horlogerie et qui a un projet : dessiner une montre réunissant toutes les manières de calculer le temps. Maître Kurogiku, lui, passe son temps à cultiver des mûriers à papier, pour faire du washi, type de papier issu de la tradition japonaise, et le plier. Cette occupation lui a valu d'être surnommé par les Italiens qui ont croisé sa route Monsieur Origami. Il est assisté dans la culture des mûriers par une jeune habitante du coin, Elsa, qui a très rapidement été prise d'affection pour Kurogiku quand il s'est installé dans les ruines qui lui servent de demeure. Voilà pour l'intrigue du roman. Et je ne parle pas juste de sa situation initiale, je parle de toute l'intrigue. J'ai omis, pas forcément volontairement, quelques petits détails, que vous pourriez découvrir simplement en lisant la quatrième de couverture. Car ce n'est pas là le plus important.

Ce qui importe dans ce roman, c'est ce que se disent les personnages, mais aussi ce qu'ils ne se disent pas. Il y a sans doute plus de silence dans ce texte que de mots. Kurogiku et Casparo vont se côtoyer pendant un temps indéterminé et leurs discussions pourraient avoir lieu aussi bien sur la même semaine qu'elles pourraient s'étaler sur plusieurs mois. Cette perception quasi impossible de la temporalité du récit est due notamment à sa construction même : les chapitres courts s’enchaînent, sonnant parfois presque comme de courts poèmes ou des prédictions de fortune cookies, et finissent même par se ressembler. De nombreuses phrases et situations sont répétées : « Casparo et maître Kurogiku se taisent souvent ensemble. Ils discutent aussi souvent ensemble. » ; « Toute beauté à sa part d'ombre. » ; « Maître Kurogiku est assis. En position de zazen »...  Des répétitions qui donnent à la structure du récit l'allure de berges d'un fleuve, dont le courant serait constitué des mots échangés par les deux hommes. 

Au fil de leurs discussions, les deux hommes abordent des concepts complexes tels que le temps qui passe, le sens d'une vie, la cohabitation du bien et du mal. Sans forcément apporter de réponses, l'auteur soulève des questions que nous nous posons tou·te·s à un moment ou un autre de notre vie. Et suivre le cheminement qu'empruntent Maître Kurogiku et Casparo prend alors des mesures de méditations, qui font le plus grand bien. 

J'ai le sentiment que, si j'avais lu Monsieur Origami à une autre époque que maintenant, je serais sans doute passé à côté. Il n'est donc pas impossible que vous ne trouviez pas dans ce livre les qualités que j'y ai pour ma part décelées. Peut être qu'elles vous apparaîtront plus tard, peut-être ne les verrez vous jamais. Mais est-ce si grave ?

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