Avis #36 : Oufti ! - Françoise Dehan

Depuis quelques semaines maintenant, je préparais un défi littéraire qui a été lancé officiellement ce dimanche 25 août : le #BelgiqueTerreLittéraire. L'idée est de mettre sur le devant de la scène des livres écrits et/ou édités par des Belges. Aussi, quand, lors d'une flânerie sur Facebook, je suis tombé sur la publication de la librairie verviétoise La Traversée annonçant la mise en vente d'Oufti, premier roman de la Jalhaytoise Françoise Dehan, j'ai su que n'avais trouvé la lecture idéale pour inaugurer cette première édition du BTL.

Oufti est une interjection purement liégeoise qui permet d'exprimer aussi bien l'étonnement ou l'exaspération que la joie et l'enthousiasme. Cette interjection, Lucas, mari de la cousine d'Evy qui nous narre l'été peu banal qu'elle s'apprête à connaître l'utilise fréquemment. Quand Evy, jeune flamande au cœur tout juste brisé de la plus horrible des façons, rencontre l'homme en arrivant à Spa pour passer l'été chez sa cousine Florence, le courant ne passe pas du tout. L'individu est ignoble et ne manque pas une occasion de souligner l'exaspération que lui procure la présence imposée de la jeune femme. Pourtant, ils vont devoir s'habituer l'un à l'autre et s'apprivoiser car Florence, accaparée par son travail de politicienne, ne s'occupera ni de l'une, ni de l'autre pendant tout l'été. Et, comme si devoir supporter les sautes d'humeur de l'extravagant mari de sa cousine n'annonçait pas un été assez mouvementé pour Evy, la jeune femme doit en plus faire face à Vivi, mystérieuse jeune femme qui semble hanter les lieux à la tombée de la nuit.

Très honnêtement, en lisant le résumé proposé en quatrième de couverture, j'ai pris peur. J'ai généralement du mal avec les comédies en littérature, trouvant souvent que les auteur·rice·s qui s'essayent à ce genre manquent de subtilité. J'avais décidé d'acheter et de lire ce roman avant tout et surtout pour le plaisir de retrouver des expressions et des lieux avec lesquels j'ai grandi. Et j'ai eu ce que je voulais ! Le roman de Françoise Dehan regorge de particularismes régionaux mais que celles et ceux qui n'ont jamais mis le pied en province de Liège se rassurent : les poyons, èwaré et autres clôs t'geûye sont traduits en note de bas de page. J'éprouvais une sorte d'émerveillement un peu naïf, je dois bien le reconnaître, à voir les personnages évoluer dans des lieux que j'ai moi même investis de façon épisodique ou régulière. Mais la saveur locale d'Oufti n'est pas l'unique point positif que j'ai retiré de cette lecture. Le roman est plutôt bien écrit d'une plume légère mais pas simpliste qui, sans pour autant démontrer un style révolutionnaire, nous emmène de page en page avec douceur.

Je ne pense pas réellement vous divulgâcher le livre en vous disant qu'il s'agit d'une comédie romantique. On le sent assez vite, dès les premières pages à vrai dire, quand on apprend que l'héroïne sort d'une histoire d'amour qui s'est terminée dans la douleur et par un rejet du concept même de l'amour. Le livre compte d'ailleurs plusieurs codes génériques de la rom-coms, pour ne pas parler de poncifs : la jeune demoiselle déterminée à ne plus succomber aux sollicitations de la gent masculine, l'homme bougon et insupportable qui reste malgré tout incroyablement attiré... Même le cliché de l'ami gay, que je dénonçais sur Instagram il y a peu de temps, y est présent. Notons cependant que le ce personnage est loin d'être le bon pédé de service et qu'il a visiblement une autre vocation dans la vie que d'accompagner Evy dans sa vie sentimentale. Ces quelques ingrédients type de la comédie romantique sont employés à bon escient et ne m'ont pas fait lever les yeux au ciel. Une romance de temps en temps, ça fait toujours son effet et celle qu'a construit l'autrice fonctionne particulièrement bien. L'ingénue mais pas idiote Evy et l'extravagant et torturé Lucas se révèlent plutôt attachants, et dotés d'une profondeur qu'on n'attend pas forcément des personnages du genre.

Ce qui achève de nous embarquer est la dose d'étrange et de mystère qu'apporte Vivi. La chambre dans laquelle dort Evy a visiblement par le passé accueilli une autre jeune fille, avec qui il arrive que la jeune Flamande soit confondue et qui hante dorénavant les lieux : chaque nuit, elle chante sa chanson dans le jardin, au plus grand désarroi de la jeune vacancière qui ne parvient pas à trouver le sommeil. À partir de là, c'est un peu comme si on tenait en main une réécriture de Rebecca de Daphné du Maurier par Agnès Martin-Lugand : l'absence de Vivi semble continuellement flotter au-dessus d'Evy dans cette somptueuse propriété, mais le ton est plus enlevé et bien moins angoissant au Nid de pie qu'à Manderley. Cette intrigue secondaire mais qui prend néanmoins une certaine importante ajoute vraiment quelque chose au roman qui, s'il n'échappe pas à certaines maladresses, est globalement bien mené. Les révélations, certaines plus prévisibles que d'autres, s'enchaînent d'un bout à l'autre. Réellement d'un bout à l'autre puisque Françoise Dehan pose sa dernière carte dans les quelques dernières pages de l'ultime chapitre.

En définitive, c'est plutôt une bonne surprise que ce roman, qui est parfait pour la période estivale. Je suis assez satisfait d'ouvrir le challenge avec cette comédie sympathique publiée aux éditions Dricot, maison liégeoise pour que le défi débute par quelque chose de cent pour cent local.

Total de points que cette lecture me rapporte pour le challenge : 6 points. (Autrice et maison d'édition belges et de la Province de Liège, l'action se déroule en Belgique, dans une autre ville que Bruxelles)

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