Avis #39 : Marin mon coeur - Eugène Savitzkaya

Eugène Savitzkaya est l'une des raisons qui m'ont poussé à me lancer le défi #BelgiqueTerreLittéraire. Il fait partie de ces auteur·rice·s qui attisent ma curiosité depuis longtemps sans que je n'aie jamais pris la peine de les lire jusqu'à maintenant. Je me suis donc lancé dans un roman d'Eugène Savitzkaya et je ne le regrette pas une seule seconde : Marin mon cœur m'a emporté, me faisant oublier les gares, les trains, les rues et les bus dans lesquels je l'ai lu.

Savitzkaya a fait ses armes dans la poésie et, dans ce « roman en mille chapitres dont les neuf dixièmes sont perdus », on ne peut faire autrement que de le constater. L'auteur, qui écrit ici en une succession de paragraphes courts la surprise, l'émerveillement, le doute, la joie, les interrogations, l'amour qui apparaissent dans les premiers instants de la paternité, ne se contente pas de maîtriser la langue française : il la crée. C'est du moins l'impression que l'on a à la lecture de Marin mon cœur, dans lequel les mots semblent n'avoir de sens que pour exprimer ce que Savitzkaya nous livre sur les premiers instants vécus par son fils. Il y a dans les phrases qui s'enchaînent une musique qui s'échappe pour nous toucher et nous permettre d'atteindre un plaisir littéraire d'une exquise douceur. « Contre le cœur de la géante dont les cheveux se mêlent aux siens, s'il y laisse tombée sa tête, c'est qu'au cou elle ne tient. Contre le cœur de la géante, s'il y laisse tombée sa tête, c'est que du parfum se souvient. »

Il y a, en plus de cette musique intrinsèque aux mots choisis et agencés par l'auteur, une forme de magie dans la poésie des images que l'auteur invoque pour parler de son fils. Magie d'autant plus forte qu'elle s'ancre dans le réel. L'humain et ses émotions sont décrits dans leur appartenance à la nature. Ainsi, juste avant d'évoquer la naissance de Marin, l'auteur s'adresse à lui (ou à la personne qui le lit ?) : « D'abord est la mer dans laquelle le sel est présent comme il est présent dans tes yeux, la mer lointaine et très proche ». Nous, humain·e·s, faisons donc partie de quelque chose de grand, quelque chose qui semble à notre portée tout en étant inatteignable. De ça, il en sera constamment question dans les nonante-deux pages qui composent le roman. Eugène Savitzkaya se pose en observateur pour décrire les premières fois, les actions impulsives ou réfléchies, les impressions insaisissables laissées par les actes les plus quotidiens dont on tend à oublier le caractère incroyable qu'ils peuvent revêtir. « C'est alors qu'il leva enfin la tête et se tint sur les coudes comme un sphinx, comptant les multiples horizons qui se présentaient soudain à sa vue. La ligne de la plinthe était à présent au-dessous de ses yeux. La bordure de la fenêtre étincelait au soleil. »

Tous ces micro-événements, Eugène Savitzkaya les consigne et en rend compte sans exprimer la fierté et l'amour paternels qu'ils peuvent susciter en lui. Ces émotions sont pourtant présentes derrière chaque mot et s'en dégagent pour notre plus grand plaisir. Nul besoin pour l'auteur d'écrire ses sentiments pour qu'on les perçoive. « Désormais, il peut tout faire avec les mains, toucher, prendre, arracher, donner, frapper, allumer du feu sans briquet ni allumettes, scier sans scie, réparer les voitures sans clef à molette ou à douille, photographies les bœufs, les cochons et les géants sans appareil photographique, écrire et dessiner sans pinceau mais avec le doigt sur le sable, la buée, dan la boue, dans la poussière et dans la neige, car, après tout, les outils ne sont qu'accessoires et les mains, les seuls instruments infaillibles. » Ne le percevons-nous pas, cet émerveillement face au développement du jeune enfant ? Ne la devinons-nous pas, la fierté d'un père face à son fils ?

Si certains passages m'ont semblé plus hermétiques que d'autres, le roman dans son ensemble m'a beaucoup touché sur le plan littéraire. Marin mon coeur nous place dans une bulle de douceur dans laquelle il fait bon lire.

Total de points que cette lecture me rapporte pour le challenge #BelgiqueTerreLittéraire : 3 points. (Auteur belge + auteur originaire de la Province de Liège).
Sous-total du challenge : 14 points

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