Avis #43 : Un détour par l'enfer - Erwan Gramand

Comment émettre un jugement sur un texte aussi personnel que le témoignage Un détour par l'enfer, publié à compte d'auteur par Erwan Gramand (nom d'emprunt), préfacé par le psychiatre spécialisé en addictologie Laurent Karila et disponible à la fois en version numérique chez Amazon ou Kobo ou en format papier depuis ce vendredi 6 décembre ? Je l'ai déjà dit dans mon article de présentation, je lis essentiellement des romans. Aussi, quand l'auteur m'a proposé de m'envoyer son texte en prévision de sa sortie, j'y ai vu l'occasion de sortir de ma zone de confort en lisant un autre genre : le récit personnel. C'était déjà le cas avec l'ouvrage de Driss Ghali et, l'expérience s'étant révélée plutôt positive, je n'ai pas hésité une seule seconde avant d'accepter la proposition de l'auteur.

Erwan Gramand le dit lui-même : son but en publiant Un détour par l'enfer n'est pas de faire de l'argent, mais de permettre aux lecteur.rice.s de mieux comprendre la maladie alcoolique. Car c'est de cela qu'il s'agit ici : l'auteur rend compte des vingt-cinq années de sa vie au cours desquelles son quotidien a été rythmé par l'alcool. Bien qu'il débute son récit au moment où, à dix-huit ans, il a connu ses premières bitures, la maladie d'Erwan Gramand prend racine dans son enfance, l'alcool ayant déjà fait des ravages dans sa famille avant sa naissance. Le premier mari de sa mère est mort fauché par un chauffard alcoolisé et sa mère, dépressive, a peu à peu sombré dans l'alcoolisme. Le rapport de l'auteur à l'alcool est donc conflictuel depuis son enfance, le conduisant à se tromper d'ennemi puisque, dans son adolescence, il a développé une forme de rancœur envers sa mère qui ne pouvait faire autrement que de se saouler.

Dans les 76 pages qui composent le récit (une centaine pour la version brochée), Erwan Gramand raconte comment l'alcool a progressivement pris possession de sa vie. Il rend parfaitement compte des causes extérieures qui peuvent déstabiliser quelqu'un au point de lui faire croire que l'alcool est son seul moyen de garder le contrôle : expériences professionnelles difficiles, vies de couple et de famille émotionnellement éprouvantes sont des terrains propices à l'installation de la maladie. Ainsi, alors que sa compagne est enceinte de son premier enfant, le père en devenir se sent progressivement délaissé et ne trouve une échappatoire que dans les moments où il peut s'enivrer.

Je le mentionne en ouverture de cet article, il est compliqué (pour moi en tout cas) de critiquer un récit personnel tel qu'Un détour par l'enfer. D'abord parce que le genre qu'est le récit personnel ne crée pas les mêmes attentes stylistiques et émotionnelles qu'un roman. J'avoue avoir, aux premiers instants de ma lecture, éprouvé quelques difficultés à entrer dans le récit. Je voyais dans les phrases simples et sans détour de l'auteur, ainsi que dans la forme de journal que prend le livre, un manque de style. Il m'a fallu alors prendre la peine de remettre les choses en perspective : Erwan Gramand ne propose pas ici un texte purement littéraire mais livre à son lectorat une partie de sa propre existence. Il lui aura fallu bien du courage pour coucher sur papier les heures sombres de son existence et je me devais de recevoir ses mots pour ce qu'ils sont : un témoignage sincère et plein d'espoirs. Espoirs que le grand public puisse enfin comprendre à quoi ressemble la vie d'une personne alcoolique, qu'il prenne conscience de ce qui, dans notre société, rend la maladie aussi difficile à traiter. L'épilogue est assez intéressant sur ce plan, montrant que notre façon de voir l'alcool n'aide en rien à enrayer le problème : regard bienveillant sur les beuveries estudiantines, disponibilité aisée et quasiment sans condition de l'alcool, vision festive des boissons alcoolisées... autant de facteurs qui donnent à l'alcool une place importante dans nos vies d'adultes. J'aurais d'ailleurs aimé que cette partie du sujet soit plus développée, que l'auteur nous amène à vraiment repenser notre rapport à l'alcool. Erwan Gramand semblant être assez engagé sur le sujet quand on voit son fil Instagram, je pense qu'il aurait les épaules nécessaires pour nous encourager à réfléchir à tout ça.

Cependant, le récit en tant que tel reste très intéressant. Il est parsemé de nombreuses répétitions qui, si elles m'ont souvent semblé fortuites, vestiges d'une certaine maladresse de quelqu'un qui s'essaye à l'écriture pour la première fois, revêtent une certaine importance dans le texte puisqu'elles entrent en résonance avec le caractère obsessionnel de la maladie. De plus, Erwan Gramand parvient à vraiment nous faire entrer en empathie avec son histoire. J'aurais sans doute apprécié que son témoignage montre de réelles qualités littéraires, mais l'écriture fluide nous permet de recevoir le texte de façon directe, voire frontale. La lecture en devient donc agréable en même temps qu'elle nous oblige à regarder en face un problème dont on tend généralement à détourner le regard.

La fin, porteuse d'espoir, achève de nous embarquer aux côtés de l'auteur, dont on est heureux d'apprendre qu'il est aujourd'hui totalement abstinent depuis près de six mois.

Je tiens, en guise de conclusion, à remercier Erwan Gramand de m'avoir permis de découvrir son témoignage, ainsi que pour la sincérité et le courage dont il fait preuve en le publiant.



Livre obtenu en service presse.

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