Avis #72 : Quasi-lipogramme en A minor, ou La réintroduction - Emmanuel Glais

Il y a quelques temps déjà, alors que le confinement commençait à peine, Emmanuel Glais, après avoir lu sur Babelio ma critique du roman posthume de Boris Vian achevé par l'OuLiPo, me contactait pour me proposer de lire son second roman : Quasi-lipogramme en A minor, ou La réintroduction, publié aux éditions Maïa. Curieux de découvrir une œuvre écrite sous la contrainte, un nouvel #ObjetLivresqueNonIdentifie potentiel, j'ai accepté la proposition de l'auteur.

Je dois être honnête, j'avais un mauvais pressentiment avant d'ouvrir ce roman. Déjà parce que le titre ne m'inspirait pas énormément : je ne pouvais m'empêcher de penser que, si le procédé utilisé devait être annoncé, c'est qu'il n'était probablement pas maîtrisé. Et le fait qu'il s'agisse d'un quasi-lipogramme me confortait dans cette idée. Et finalement, bien que l'entièreté du roman ne m'ait pas convaincu, j'ai été assez agréablement surpris.

Mais avant toute chose, qu'est-ce qu'un lipogramme ? Il s'agit d'un texte écrit en interdisant l'utilisation d'une lettre. L'exemple le plus célèbre est sans doute La disparition de Georges Perec, écrit sans la lettre E. Le quasi-lipogramme d'Emmanuel Glais bannit quant à lui la lettre A pendant la quasi-totalité de l'ouvrage.

Le titre le montre : la volonté de l'auteur était de faire de son roman un lipogramme. La forme est donc privilégiée au fond, et c'est précisément ce qui me faisait peur avant de commencer ma lecture. Je craignais d'être en présence d'un texte sans début ni fin, d'un enchaînement de mots sans grand intérêt. Pour le coup, mes craintes étaient relativement infondées. Une histoire, il y en a bien une : celle d'Hubert-Félix, un jeune homme qui décide de se lancer dans la grande entreprise de l'auto-entrepreneuriat dans le domaine de la gestion des déchets électroniques. On va donc le suivre pendant une année compliquée au cours de laquelle il va tenter de trouver sa place dans une société pas toujours facile à comprendre.

C'est Hubert-Félix lui-même qui endosse la narration, et je pense que c'est le meilleur choix que pouvait faire l'auteur pour intégrer sa contrainte le plus subtilement possible dans cette histoire relativement banale d'un jeune homme en quête de sens. Le style adopté pour évincer la lettre A du texte, mélange de termes désuets, de mots d'argot, de patois breton et d'un vocabulaire plus ampoulé donne du corps et de la personnalité au personnage principal, ainsi qu'un petit côté fantasque qui lui sied à ravir. Si certains moyens utilisés pour respecter la contrainte semblent un peu forcés (la France et les Français deviennent par exemple la Fronce et les Froncés), il faut reconnaître que ça marche plutôt bien et que la fluidité de l'écriture n'est que très rarement entravée.

Par contre, à plusieurs reprises, l'auteur interrompt le fil de l'histoire en intervenant, affichant sans complexe son ambition d'être reconnu pour son talent et nous jetant à la figure la difficulté de la tâche qu'il s'est imposée, ce qu'il arrivait pourtant plutôt bien à masquer à travers la voix d'Hubert-Félix. Si les doutes de l'auteur entraient parfois en résonance avec mes propres démons, cette autoréflexivité ne m'a pas semblé nécessaire et m'a fait sortir du texte sans s'y imbriquer parfaitement. Et, malgré quelques moments réjouissants, notamment le moment où le personnage principal rend une visite impromptue à ses parents, l'histoire en elle-même ne m'a pas toujours récupéré.

Hubert-Félix pose un regard cynique sur le monde qui l'entoure, m'emmenant parfois jusqu'au dégoût et à l'agacement. Il m'a alors paru impossible de m'attacher à lui et de me sentir concerné par ce qui lui arrivait et, petit à petit, je me suis désintéressé du propos, n'attendant plus que le moment où la réintroduction de la lettre A montrerait les limites de l'exercice. La raison invoquée pour le retour du A ne m'a pas non plus totalement convaincu : je pense que j'espérais y trouver une forme de symbolisme là où j'ai finalement plutôt perçu un aveu de faiblesse.

Au final, c'est un texte qui ne manque pas d'intérêt. On sent que l'auteur a du talent, mais il aurait fallu quelque chose en plus (ou peut-être en moins ?) pour que le roman me paraisse totalement abouti et dépasse la figure de style.

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