Avis #86 : Moi, j'embrasse - Clément Grobotek

Juste après avoir lu Le consentement, j'ai profité de mes douze heures de lecture pour découvrir Moi, j'embrasse, un autre récit, celui de Clément Grobotek paru au début de l'été, en juin 2020, chez Plon.

Après avoir refermé ce livre (et même, je dois le reconnaître, pendant que je le lisais), je n'avais qu'une question en tête : pourquoi ? Pourquoi ce témoignage, quel en est l'intérêt ? Ces questionnements venaient peut-être du fait que j'ai lu Moi, j'embrasse le lendemain de ma lecture du récit de Vanessa Springora, dont la nécessité d'écrire sautait aux yeux et dont la publication s'inscrivait dans un contexte favorable à ce genre de témoignages. Mais au-delà de ça, que m'a-t-il manqué pour que je saisisse l'intention du document ? Sur le moment, lancé que j'étais dans ma lubie de lire pendant douze heures d'affilée, j'ai décidé de reléguer à plus tard cette réflexion. Maintenant que j'ai le temps de me pencher à nouveau sur cette lecture, je peux tenter de remonter le fil de cette impression, de traquer les indices qui m'ont fait passer à côté de ce témoignage.

Ce n'est en tout cas pas un manque d'intérêt pour le sujet. La prostitution masculine, on n'en parle pas si souvent que ça et en parler me ne me semble pas inutile. J'ai d'ailleurs beaucoup aimé, sur le même sujet, le roman Prostitué de David von Grafenberg aux éditions Anne Carrière. Roman qui, en 2007 déjà, racontait déjà les mêmes soirées, le même luxe apparent, les mêmes dangers. Mais il le faisait avec un petit quelque chose en plus : l'aspect littéraire.

Pourtant, ce n'est pas pas l'absence de la littérature qui m'a gêné ici. Ni bien ni mal écrit, le texte de Clément Grobotek, rédigé avec la collaboration de Pierre Guillemette, est fluide. La lecture n'en est pas désagréable parce qu'elle ressemble à une histoire que pourrait nous livrer un ami. Et puis ce n'est pas ce que je cherchais en achetant ce livre. Je me doutais que je n'aurais pas entre les mains un texte d'auteur, mais bien le récit d'un homme que je suis depuis quelques temps sur Instagram. Ce n'est donc pas de ce côté-là que je trouverais des raisons à mon relatif désintérêt face à cette lecture.

Mais c'est justement Instagram qui va me l'apporter, cette réponse. En fin de récit, Clément Grobotek exprime une réflexion sur l'image qu'il renvoie sur les réseaux sociaux qui me semble en fait applicable à Moi, j'embrasse. « Je m'expose sur les réseaux, mais les images que je bombarde sont soigneusement retouchées. La lumière et la pose sont étudiées pour donner l'illusion que je veux. » C'est ça ! C'est exactement ça ! Le livre m'a laissé de marbre parce qu'il me paraît lisse, étudié pour être dans le juste milieu, pas pour atteindre la « vérité ».

Et ça commence par l'objet lui-même, par le travail de l'éditeur. On le sait qu'un livre est le produit d'opérations visant à rendre le livre attractif. Le but est de vendre, et c'est très bien comme ça. Le problème ici, c'est qu'on voit les ficelles dès la couverture. Le nom de l'auteur d'abord, réduit à une simple initiale. Clément G. Associé au bandeau nous annonçant la nature du récit, on comprend que c'est pour donner au livre un aspect sulfureux en le rapprochant de témoignages comme Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée... Et puis il y a la photo de Clément Grobotek, petite mais efficace. Je l'avais déjà dit en parlant du roman d'Alain-Fabien Delon : si vous voulez me vendre un livre, vous mettez une photo d'un beau garçon et ma carte de banque est déjà hors de mon portefeuille.

Puis ça continue avec le texte en lui-même. Pas l'entièreté, je ne veux certainement pas nier la sincérité de Clément Grobotek, mais il y a quelque chose d'indéfinissable qui me fait penser que le témoignage est trop superficiel pour être nécessaire. Dans un article de La Nouvelle République, on apprend d'ailleurs que l'écriture du récit a été entreprise après deux sollicitations, à un moment où l'auteur avait décidé de ne plus en parler publiquement. Et c'est sans doute là que se situe l'origine de mon manque d'intérêt : l'intention n'est pas claire. Je ne doute pas que l'écriture du récit ait pu lui faire du bien, je ne doute pas qu'il y ait une potentielle mise en garde derrière, une possible tentative de faire tomber les illusions. Mais le vernis n'est jamais vraiment craquelé. Oui, on nous raconte les dangers, on nous dit la détresse, l'oubli de soi. On nous explique aussi que tout n'est pas forcément noir (et c'est l'atout principal du livre, on n'entre pas dans une vision manichéenne de la prostitution). Mais tout ça, je l'ai reçu comme une suite d'anecdotes.

Soit, je suis passé à côté de ce témoignage, dont l'essentiel est résumé dans une vidéo de 4 minutes dans laquelle Clément Grobotek raconte son expérience pour Konbini. Peut-être que vous y trouverez ce qui m'a manqué.

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