Avis #100 : Chienne - Marie-Pier Lafontaine

« Je dissimulais mes désirs dans des textes de fiction, enfant. Deux sœurs en fugue. Pourchassées par un monstre à deux têtes. Elles s'enfuyaient dans de sombres forêts. S'armaient de branches, de bâtons. Aujourd'hui, je ne cache plus mes désirs. Je voudrais que ce texte décime ma famille entière. »

Je voudrais vous parler de Chienne de Marie-Pier Lafontaine, que j'ai eu envie de lire dès sa parution aux éditions Héliotrope. Je voudrais, mais je ne peux pas vraiment parler de ce roman édité en Europe par Le Nouvel Attila.

Parce que je ne peux décemment pas dire que j'ai aimé ce livre sans avoir l'impression de poser un regard complaisant sur les événements qui y sont décrits. Et pourtant, en une centaine de pages, cette autofiction fragmentée est devenue un des livres les plus marquants de ma vie de lecteur. Le texte est dur, sans concession, mais pas autant que l'inceste et les abus psychologiques qui y sont relatés.

D'une certaine manière, et c'est étrange de le formuler ainsi, le texte est beau. Parce qu'il est travaillé avec une minutie incroyable et qu'il devient un objet littéraire à la fois brut et extrêmement précis. L'autrice frappe de ses mots. Et elle touche, à chaque fois. Les phrases courtes qui s'enchaînent ne nous laissent même pas reprendre notre respiration. Là où les points achevant les phrases sont généralement un moment de répit, ils deviennent les signaux d'un danger qui cogne là où ça fait mal.

Lire Chienne, c'est accepter une position paradoxale qu'on ne choisit pas : on voudrait fermer les yeux sur ces actes insoutenables mais on ne peut s'empêcher de poursuivre la lecture. Parce qu'on ressent dans chaque mot l'urgence de dire, on ne peut que répondre par une urgence de lire.

« J'aurais voulu écrire un roman sur mon enfance avec des pages et des pages remplies d'écritures. Sans espaces blancs, sans pauses ni silences. Que l'on comprenne bien tout le vacarme que fait la peur de mourir à un cœur. »

Des silences, il y en a dans Chienne, et ce sont sans doute les plus terribles. Les pauses quant à elles sont bel et bien absentes de ce texte ; une fois que vous en commencez la lecture, il ne vous lâche pas. Vous ne pouvez rien y faire, le fermer et le poser n'y changera rien : il sera en vous, à jamais.

Commentaires

Articles les plus consultés