Avis #99 : Les Chants du Placard - Luz Volckmann

« Ces mots explorent un recoin infime du placard qui est le mien. Je ne les offre pas : ils n'ont rien d'un cadeau. Je ne regrette pas une syllabe mais j'aurais souhaité ne jamais avoir à les écrire. Parce qu'ils sont écrits par la haine, le meurtre, le viol, les gueules retournées, la pauvreté, le silence depuis des siècles, la bêtise, la prison, l'hégémonie. J'aurais souhaité que rien de tout cela ne fasse partie de ma vie, ou de la tienne.

Mais. Les mots sont là : impossibles à abandonner. Comme toi, comme nous, ils finiront mal alors non, pas une de ces lignes n'est un fardeau. »

Les chants du placard, premier roman de Luz Volckmann édité par les éditions blast, est un texte radical. À tel point que je sens déjà que je vais éprouver toutes les difficultés du monde pour vous en parler.

Et les maladresses que je vais sans aucun doute enchaîner à propos de ce texte ont déjà commencé. Existe-t-il un terme moins convaincant, moins vendeur, que « radical » pour parler d'un livre ? C'est un terme qui fait peur, encore plus dans notre société où radical et extrémisme cohabitent souvent. Mais je ne vois pas de terme plus adéquat pour parler du livre de Luz Volckmann. Ce texte est radical puisqu'il propose une rupture, ou plutôt une multiplicité de ruptures.

Il y a d'abord les ruptures comme motifs dans ce que le roman dit. Rupture d'amitié dans les Lettres mortes, avec l'enfance dans La Malvenue, avec un corps dans L'alphabet des Imbéciles. Trois chapitres qui montrent qu'il est parfois nécessaire de casser pour mieux reconstruire, que les fins peuvent être des recommencements et que les nombreuses manières de mourir sont autant de façons de naître.

Il y a également ruptures dans la forme. D'abord parce que le texte de Luz Volckmann échappe aux cases habituelles. Difficile de parler de roman face aux Chants du placard tant les trois chapitres qui les composent peuvent fonctionner séparément. Par ailleurs, ils sont introduits par quelques pages qui, parce qu'elles ne sont pas nommées, pourraient être à la fois prologue, manifeste ou note d'intention en même temps qu'elles pourraient n'être rien de tout ça. Impossible par contre de parler de recueil de nouvelles, tant l'ensemble est homogène, malgré une nouvelle rupture formelle entre les deux premiers chapitres et le troisième qui voit la narration passer de la première à la troisième personne.

Mais la plus grosse rupture de toutes, c'est celle que Luz Volckmann entame avec le Placard. Ce texte, c'est une réappropriation de la Parole de la part d'une autrice qui se l'est vue trop souvent confisquée. Et, sans doute parce que le monde l'a trop souvent réduite au silence, la Parole de Luz Volckmann ne se laisse pas approcher facilement. Il faut s'accrocher pour avancer dans ces 90 pages. Il ne faut pas avoir peur d'entrer en contact avec une langue riche et poétique, dont certaines images resteront sans doute obscures pour tout qui n'est pas l'autrice de ces mots. Mais la Littérature doit-elle nécessairement livrer tous ses secrets pour être lue, appréciée et entendue ? Je n'en suis pas sûr ; en tout cas, les zones d'ombres que créent ces Chants du placard n'ont fait que renforcer ma fascination pour ce texte queer par son essence même.

Je tiens à remercier les éditrices derrière cette maison d'édition que je découvre en même temps que je découvre Luz Volckmann de proposer une littérature autre, qui n'hésite pas à bousculer les codes. Les chants du placard ont sans doute fait une entrée discrète sur la scène littéraire, mais ils feront assurément beaucoup de bruit à l'intérieur de celleux qui les liront.

PS : Si les détracteur·rices de l'écriture inclusive prennent la peine de lire Les chants du placard, iels pourront se rendre compte de tout le potentiel littéraire qu'une écriture qui ne laisse personne sur le côté peut avoir.

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