Dans ton tube - Florence Andoka

« Dans ton tube est avant tout la quête d'une forme idéale pour traverser l'espace saturé de la plateforme Youtube, un protocole d'écriture reflétant les sauts de l'esprit d'une vidéo à une autre, d'un sujet à un autre, tout comme la sidération qu'implique le temps passé à fixer l'écran et absorber ses représentations. »

Hier matin, j'ai refermé la non fiction Dans ton tube de Florence Andoka et, depuis, je suis mitigé. Ou peut-être devrais-je dire perplexe. Je ne suis pas bien sûr de ce que je pense de cette lecture. Cette septantaine de pages m'est parvenue dans une enveloppe pleine de bouches bleues (je remercie la maison d'édition Gorge bleue pour cet envoi dans le cadre de la masse critique Babelio de janvier) et cet emballage m'a conquis d'avance. Sur la quatrième de couverture, une promesse : « Florence Andoka nous propose une vertigineuse expérience de lecture qui laisse à bout de souffle pétri du plaisir coupable d'avoir consommé trop. » Quand j'en ai tourné la dernière page, force était de constater qu'aucun vertige ni culpabilité ne se sont fait sentir, que ma respiration n'avait pas été perturbée, et que j'ai eu l'impression de me traîner de page en page pour arriver au bout de cet essai.

Le texte ne manque pourtant pas d'intérêt. En faisant se suivre les chapitres commençant tous par une variation de la phrase « C'est une fille qui monte une chaîne Youtube », l'autrice questionne les mécanismes de l'influence et leur impact sur les spectatrices (l'angle exclusivement féminin est un choix de l'autrice). J'ai pu y reconnaître certains de mes propres comportements : il m'arrive régulièrement de rester captivé devant des vidéos qui ne me concernent pas. J'ai un faible pour les vidéos de crash-tests de produits cosmétiques, en particulier celles de Gaëlle Garcia Diaz, aka Martine ta meilleure copine/cravacheuse de p... Et, regardant ces vidéos, alors que je ne me maquille jamais et que, si l'idée de m'essayer au drag un jour ou l'autre m'a déjà traversé l'esprit, je ne suis pas près de le faire, j'en viens à considérer comme une option le faire d'acheter l'une ou l'autre palette ainsi présentées. Gardons ces considérations pour le jour où je voudrai vous partager une vidéo storytime et revenons-en au livre.

Avec ce texte, Florence Andoka cherche à retranscrire par l'acte littéraire le mode de fonctionnement de Youtube et des communautés qui s'y créent. Le choix d'un cadre répétitif est donc judicieux, puisque ces chapitres structurés de manière identique fonctionnent à la fois comme l'interface même de la plateforme et comme les codes inhérents à chaque format des contenus qui y sont proposés.

Au sein des chapitres, par contre, c'est un peu le foutoir. Les paragraphes s'enchaînent parfois sans lien logique, le ton change sans cesse, difficile de savoir à qui s'adresse la narration (les Youtubeuses, les spectatrices, la lectrice ?), le trivial laisse place au snobisme intellectuel, la prose à la versification... Et c'est à partir de là que je deviens perplexe.

Parce que je trouve la forme intéressante pour ce qu'elle montre des hasards de l'algorithme ; parce que ces questions ou ces phrases hurlées en lettres capitales ("QUAND TU RESTES ICI TROP LONGTEMPS TE CONSIDÈRES-TU COMME DÉPRESSIVE ?") viennent interrompre le texte à la manière des publicités sur les vidéos monétisées ; parce que Youtube et le monde de l'influence sont des écosystèmes dans lesquels il est parfois difficile de savoir qui impacte qui... Mais en même temps il manque quelque chose. Certes, le phénomène de zapping fait partie intégrante de la consommation de vidéos, mais elle est le fait de la personne qui regarde alors que lae lecteur·rice de Dans ton tube n'a finalement que peu de prise sur l'enchaînement des idées. Et pourtant, cette impossibilité de choisir d'où on part et où on va peut également se faire le miroir de l'algorithme qui nous impose ce qu'on pourrait choisir de regarder ensuite, nous laissant avec un faux sentiment de libre-arbitre.

Le travail de Florence Andoka n'est donc pas si éloigné de l'expérience que je pouvais le penser de prime abord, mais manque sans doute de répétitions. Hormis la phrase d'ouverture des chapitres, on est confronté dans le texte à des idées nouvelles à chaque fois. Mais, si j'écoute en boucle Ne parlons pas de Bruno et Sous les apparences du film Encanto, ce n'est pas uniquement dû au talent de composition de Lin-Manuel Miranda mais aussi et surtout à cette difficulté à aller au-delà des moyens mis en place par Youtube pour me garder sur la plateforme.

Une autre dimension qui m'a manqué pendant ma lecture est celle de divertissement. Youtube, peu importe le type de vidéos qu'on y cherche ou qui s'imposent à nous, c'est du divertissement ; quelque chose qui nous extrait du moment présent et fait filer le temps sans qu'on le remarque. Or, et malgré la pertinence de nombreux passages du livre, je me suis souvent ennuyé à la lecture de Dans ton tube. Et j'ai trouvé le temps long ; je l'ai ressenti, le temps de ma lecture. Sauf que, comme avec tout ce que j'ai pu vouloir pointer comme défauts dans cette expérience littéraire, l'ennui ne peut pas être vu comme un ratage de l'autrice. Parce qu'il se pourrait qu'il soit voulu, provoqué. Parce qu'il est un des sujets du livre. Parce qu'on va sur Youtube pour tromper l'ennui, lui échapper. Parce qu'on ne sait plus comment l'appréhender sans en avoir peur.

Et me voilà un peu moins perplexe et un peu plus convaincu voulu mettre des mots sur ma lecture. Bref, Dans ton tube de Florence Andoka, c'est un inclassable, un Objet Livresque Non Identifié qui s'apparente plus à la performance/au happening littéraire qu'au texte de littérature ; c'est un livre qu'il ne faut pas lire mais réfléchir.

Et c'est aussi pour moi la découverte d'une maison d'édition qui n'a pas peur de prendre des risques : je recroiserai Gorge bleue à coup sûr dans ma vie de lecteur.

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