Avis #32 : Sauvages - Nathalie Bernard

Pas encore décidé à quitter le Québec, j'ai fait suivre mes lectures des trois livres chroniqués dans le cadre de #juilletjevoyageenlivres (mes articles ici, ici et ici) et celle de Taqawan d'Éric Plamondon par celle de Sauvages de Nathalie Bernard. Restant dans la thématique du traitement réservé aux populations autochtones d'Amérique du Nord, j'ai pu découvrir avec ce roman pour adolescents publié par Thierry Magnier une autre facette des horreurs qu'ils ont pu vivre : les pensionnats destinés à « tuer l'Indien dans l'enfant ».

Ces pensionnats, j'en avais appris l'existence il y a quelques mois en encodant pour la bibliothèque un autre roman jeunesse : Kill the Indian in the Child d'Elise Fontenaille (que je ne manquerai pas de lire prochainement). Le principe de ces lieux : élever les enfants Indiens en leur apprenant à se conformer aux normes des Blancs, user de tous les moyens pour les contraindre à abandonner leur culture au profit de la seule jugée acceptable.

Jonas, 16 ans, vit dans un de ces pensionnats depuis qu'il a dix ans. Au moment où s'ouvre le récit, il lui reste deux mois à tenir dans ce lieu qu'il déteste. Soixante jours au cours desquels il va continuer à agir comme s'il avait intégré les leçons qu'on lui a inculquées de force. Mille quatre cents quarante heures qui devraient ne poser aucun problème avant d'être enfin libre. À moins qu'un grain de sable ne vienne enrayer la machine si bien huilée de la vie qu'il s'est construite au pensionnat du Bois Vert ?

Nathalie Bernard signe avec Sauvages un roman captivant. L'ouvrage se compose de deux parties distinctes : dans la première, le récit nous montre l'horreur de ces pensionnats canadiens et des traitement réservés aux jeunes qui s'y trouvent. Jonas s'exprime à la fois sur son présent et sur le passé duquel il a été arraché. L'autrice parvient ainsi à nous faire entrer rapidement en empathie avec son héros. Le contraste entre la joie qu'éprouvait Jonas quand il vivait avec sa mère et la douleur qu'il connaît au Bois Vert est savamment mis en place par Nathalie Bernard, qui a su placer chaque élément de manière à ce que la tension du récit s'installe progressivement. Très vite cependant, on a droit à des passages forts, assez douloureux à lire, notamment le souvenir du jour où Jonas a été arraché à sa mère : « Les mains nouées autour de son cou, je m'accroche à ma mère comme à un rocher. Impuissante, elle me regarde, ou plutôt me dévore des yeux, sachant au plus profond d'elle-même que c'est la dernière fois qu'elle me voit. (...) Lorsqu'ils m'emportent loin d'elle, je ne pleure pas. Mon cri est intérieur et je sens qu'il m'abîme de manière irréversible. Je sens que mon enfance se termine pile à ce moment-là. »

On append donc à connaître Jonas tout au long de cette première moitié du roman : son caractère, ses aspirations, ses relations aux autres. On découvre également les autres personnages qui vont jouer un rôle plus ou moins important dans la suite des événements : Lucie, jeune fille de dix ans dont la joie de vivre, qui semble d'abord inébranlable, s'étiole peu à peu à mesure que le Père Séguin, qui dirige le pensionnat depuis peu et que tout le monde surnomme la Vipère, resserre son emprise sur elle ; Gabriel, pensionnaire âgé de seize ans lui aussi, qui peine à trouver sa place dans l'établissement et qui semble en vouloir à Jonas de si bien réussir à se conformer à ce qu'on attend d'eux ; Samson, le bûcheron avec qui Jonas et Gabriel travaillent pour approvisionner le pensionnat en bois ; les chasseurs, quatre individus odieux qui ne trouvent du plaisir que dans la souffrance des bêtes qu'ils abattent et dans l'humiliation des « sauvages ». Tous ces personnages vont, chacun à leur manière, faire dévier Jonas de son plan original.

La seconde partie du récit débute après un événement particulièrement difficile pour le héros du roman. À partir de ce moment, le ton change et Nathalie Bernard transforme le récit en un thriller palpitant au cours duquel Jonas va devoir se reconnecter avec ses instincts et avec ce qu'il a appris de la forêt pendant son enfance.

Sauvages de Nathalie Bernard, qui fait partie de la sélection 2020 du Prix Farniente, est un roman habilement construit, profond, qui traite d'un sujet historique important tout en étant un vrai divertissement qui ravira à coup sûr les adolescents (et de nombreux adultes également).

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